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L’escalade d’un ennemi intérieur que l’Etat n’ose pas nommer

Essayer de tuer des gens en criant « Allahou Akbar », vêtu d’une djellaba, est-ce du terrorisme ? Tout bien réfléchi, non… Voilà où la France de 2014 en est rendue. Si Bernard Cazeneuve a eu la peau de Zemmour, les djihadistes n’ont rien à craindre de lui. L’heure est pourtant venue de la « mobilisation générale ». Et de la guerre.

Dimanche soir sur TF1, Ber­nard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a déclaré : « Nous avons décrété la mobilisation générale contre le djihad. » Fichtre ! Voilà bien une première ! Le premier flic de France qui devance l’appel lancé le lendemain matin par Marine Le Pen sur Twitter ! « Mener une guerre totale aux fondamentalistes ou compter les victimes innocentes, il faut maintenant choisir ! », a lancé la présidente du Front national dans un message signé de ses initiales, MLP, marque qu’elle en est personnellement l’auteur.
Bernard Cazeneuve a-t-il réellement choisi ou s’illusionne-t-il, comme Raymond Poincaré il y a un siècle, lançant le 1er août 1914 au soir, alors que l’ordre de mobilisation générale était affiché dans toute la France, dans une adresse à la nation française restée célèbre : « La mobilisation générale n’est pas la guerre » ?

Tous neutralisés… sauf ceux qui agissent !
Hélas, Bernard Cazeneuve n’est pas l’auteur de la phrase qui, lundi matin, lui était prêtée par nombre de confrè­res, dont « Le Figaro ». Face à Claire Chazal, à l’heure même où un individu jouait au culbuto dans les rues de Dijon aux cris de « Allahou Akbar » et après avoir tourné autour du pot au sujet du « personnage » de Joué-lès-Tours, dont il fallait prendre en compte les « circonstances familiales » – tel que ! – et l’aspect « très mystérieux » – authenti­que ! –, Bernard Cazeneuve n’a prononcé que cette phrase : « Nous avons décrété la mobilisation générale pour protéger les Français. » Et ça n’a rien à voir.
La mobilisation générale contre quoi ? Contre les « déséquilibrés » ? Ou contre une menace clairement identifiée, celle des islamistes qui ont fait de la France et des Français, de tous les Français, en uniforme ou civils, des ci­bles prioritaires ? La guerre asymétrique qui est en cours s’est inversée ! La force est du côté de l’Etat islamique, qui sait contre qui il lutte, et la faiblesse de la nôtre, qui ne sommes pas capables de désigner l’ennemi et, pire encore, nous contentons de mesures défensives !
Pas dupe de ses propres mensonges – et surtout relancé par Claire Chazal –Bernard Cazeneuve a tout de même fi­ni par en venir au fait : le terrorisme islamique, pour dire qu’il y avait eu, dans le cadre de sa loi qui est l’unique manifestation de la « mobilisation générale », 118 interpellations de djihadistes et 82 incarcérations et qu’il y avait 103 procédures judiciaires ouvertes concernant plus de 500 personnes. Le « personnage » de Joué-lès-Tours et celui de Dijon ne figuraient hélas pas parmi les incarcérés, ni tous ceux qui, sur les réseaux sociaux, leur manifestent leur soutien…

L’occasion ratée de l’« union sacrée »
S’il y avait vraiment « mobilisation gé­nérale », ce n’est pas Bernard Cazeneuve mais François Hollande qui serait intervenu à la télévision. Or François Hollande, après deux actes terroristes perpétrés sur le territoire français en l’espace de trente heures qui ont fait un total de seize blessés (1) – trois à Joué-lès-Tours, treize à Dijon –, n’a toujours pas estimé utile de s’adresser aux Français…
François Hollande n’a même pas l’ex­cuse d’être parcimonieux de sa parole. C’est le même Hollande qui n’avait pas hésité à interrompre les programmes télévisés pour expliquer so­lennellement aux Français, le 19 octobre 2013, que la jeune Léonarda, simple collégienne rom expulsée de France, pouvait revenir en France si elle le souhaitait (ce que les deux tiers des Français ne souhaitaient pas, les autres n’en ayant que faire !).
S’il y avait « mobilisation générale », François Hollande et Manuel Valls seraient en train de préparer l’« union sacrée », selon l’expression forgée en 1914 par Raymond Poincaré, qui avait adopté aussi des « mesures d’apaisement » envers les catholiques contre les­quels la IIIe République menait une guerre intérieure depuis plusieurs dé­cennies. Toute ressemblance ou similitude…
Dans son message aux deux assemblées du 4 août 1914, Poincaré déclarait encore : « Dans la guerre qui s’engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples, non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l’éternelle puissance morale. Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l‘ennemi l’union sacrée et qui sont aujourd’hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l’agresseur et dans une même foi patriotique. » Ce message avait été lu par le président du Conseil René Viviani, socialiste et cofondateur de « L’Huma­nité » avec Jean Jaurès…

Où est passé l’« ennemi intérieur » ?
Il n’y a pas de « mobilisation généra­le » car ni Hollande, ni Valls, ni Cazeneuve ne veulent mener la guerre con­tre ce que le premier ministre avait pourtant appelé, le vendredi 12 octobre 2012, l’« ennemi intérieur » ! Alors ministre de l’Intérieur, Valls avait ton­né, s’exprimant en clôture du congrès du syndicat Alliance police nationale à Marseille : « La menace terroriste est bien là, présente sur notre sol […] Des dizaines d’individus sont, par leurs profils, susceptibles de passer à l’acte. Cet ennemi intérieur, nous devons le combattre. » Il avait ajouté : « La menace terroriste est désormais le fait de Français nés sur notre sol […] qui ont versé dans l’islamisme radical » et qui ont suivi « un processus qui mêle délinquance, criminalité, antisémitisme virulent et soif de violence ».
En février 2013, toujours ministre de l’Intérieur, il avait réitéré ses propos à l’occasion d’une interview à « Au­jourd’hui en France » : « Nous faisons face à un ennemi extérieur au Mali, nous faisons aussi face à un ennemi intérieur qui est le fruit d’un processus de radicalisation […] Il part de la petite délinquance, passe par le trafic de drogue, parfois par la prison, jusqu’à la conversion à un islamisme radical et à la haine de l’Occident. » Il avait ajouté ceci : « Il y a en France aujourd’hui plusieurs dizaines de Merah potentiels. Tous ne passent pas à l’acte, mais il faut se prémunir. »
Et depuis, la France est partie protéger les populations menacées par l’Etat islamique – la France ne part plus faire la guerre… –, l’Etat islamique a déclaré la guerre à la France, et la Fran­ce… compte les points. Aujour­d’hui des blessés, demain des morts, au cœur même de notre territoire où, d’un simple clic sur un clavier d’ordinateur, se lèvent ceux qu’on appelait autrefois, du temps de la guerre froide entre Est et Ouest, des « agents dormants » lorsqu’il s’agissait d’agents soviéti­ques (2), des « stay-behind » – ceux qui restent derrière les lignes – lorsqu’on parlait du réseau d’agents clandestins piloté par l’Otan. Sauf que…

Un décret pour cantonner les étrangers
Sauf qu’à la différence des agents dormants de l’un ou l’autre bord, les combattants islamistes : 1. sont en nombre inconnu et en tout cas bien supérieur aux 5e colonnes qui étaient prépositionnées sur notre territoire ; 2. n’ont pas peur de mourir et en éprouvent même de la fierté ; 3. peuvent être activés par un simple message ou une vidéo postée sur internet ; 4. se renouvellent sans cesse, au fil des migrations. Le réservoir des « loups solitaires » est quasi inépuisable – et ce n’est pas gentil pour les loups.
Raymond Poincaré, encore lui, dans sa proclamation d’août 1914, pouvait à bon droit affirmer que le gouvernement comptait « sur le patriotisme de tous les Français et [savait] qu’il n’en est pas un seul qui ne soit prêt à faire son devoir ». Un siècle plus tard, au rythme effréné des naturalisations – plus de 100 000 par an – et à celui de la propagation de l’islam sur notre sol, qui oserait en dire autant ? Jusqu’à l’armée française qui est gangrenée ! En 2009, Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions de défense, avait brisé le silence de la Grande Muette en révélant que plusieurs soldats français avaient refusé de partir combattre en Afghanistan pour ne pas y affronter… leurs « frères » ! Le phénomène est certes marginal mais réel. Combien de Français musulmans refuseraient de porter les armes s’il leur était donné ordre d’aller combattre l’« ennemi intérieur » ?
S’il y avait « mobilisation générale » contre les djihadistes, et donc guerre, il y aurait forcément neutralisation con­comitante des populations susceptibles de présenter un risque. Sur le mo­dèle du décret du 2 août 1914 « relatif aux mesures à prendre à l’égard des étrangers stationnés en France » qui décrétait l’évacuation des Allemands et des Austro-Hongrois de la région Nord-Est ain­si que d’une partie du Sud-Est
– ainsi que « dans le rayon des camps retranchés de Paris et de Lyon ». Ce décret décidait en fait que tous les étrangers, quelle que soit leur nationalité, pouvaient être autorisés à conserver leur résidence en France (en dehors des zones spécifiées), à la condition d’être dotés d’un permis de séjour et… « Ils ne pourront ultérieurement se déplacer sans être munis d’un sauf-conduit. »
Lundi, au conseil des ministres avan­cé pour que les membres du gouvernement et le chef de l’Etat puissent partir se reposer, François Hollande a demandé qu’il soit procédé… à « la vérification de l’état psychiatrique des deux individus » ! Et il a fait savoir aux Français qu’ils devaient rester « sereins » Comme dit Cazeneuve : « Lutter contre la peur, c’est lutter contre le terrorisme. »
A Dijon, peu après, Bernard Cazeneuve, de moins en moins guerrier, s’exprimant sur le « déséquilibré » qui avait blessé treize personnes la veille au soir en criant « Allahou Akbar », a déclaré : « Seules les investigations pourront déterminer les conditions exactes de ses agissements. Aujourd’hui ses motivations ne sont pas établies. J’appelle donc chacun à ne pas tirer de conclusions hâtives suite à ces agissements. »
Les investigations ont été promptement menées. « Il ne s’agit pas d’un acte terroriste », a établi le procureur, car l’individu souffre d’une « pathologie psychiatrique ancienne et lourde ». Il pensait juste, en commettant son acte, vêtu d’une djellaba que sa maman lui avait achetée quelques jours plus tôt, à la « souffrance des enfants de Palestine et de Tchétchénie ». Faudrait voir à ne pas confondre solidarité et terrorisme…
« Mener une guerre totale aux fondamentalistes ou compter les victimes innocentes », le gouvernement de la France a choisi.     
Marc Bertric


1. Bilan connu au lundi 22 décembre à 15 heures.
2. Pour une approche distrayante de la question, voir l’épisode 164 de Chapeau melon et Bottes de cuir, « Le Château de cartes ».


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