MINUTE

En vente cette semaine

cliquez sur l'image

Minute 2959
A+ A A-

Bernard Tapie, le joker de François Hollande

La présidentielle de 2017 est décidément lancée. François Hollande, candidat à sa succession – il n’y a plus de doute possible – vient de lancer son joker populiste dans la bataille : Bernard Tapie ! À charge pour lui de contester le créneau à Marine Le Pen et surtout à Jean-Luc Mélenchon, et de parler aux « jeunes ». Nanard, épisode 2, toujours à votre service !

À 72 ans, Bernard Tapie revient en politique ! Après tout, pourquoi pas : il n’a que deux ans de plus qu’Alain Juppé… L’âge auquel l’ancien premier ministre, à trois mois près, abordera la présidentielle de 2017… À 61 ans, François Hollande est un gamin. À 60 ans, Nicolas Sarkozy aussi. Enfant, on compte les demi-années. Adulte, on ne compte les mois que lorsqu’on espère battre un record, celui du plus jeune premier ministre que la France ait connu par exemple. Les papys, eux, ne comptent plus que les décennies. En deçà de 80 printemps, toutes les ambitions sont permises ! « La politique m’a effectivement tué, mais je respire encore », a expliqué Tapie au Journal du dimanche.

72 ans et repris de justice, normal, quoi…
Le système respiratoire des hommes politiques est bien un problème. Surtout dans un contexte d’allongement de la durée de la vie. Tant qu’ils ont un souffle d’air, tant que leurs branchies leur permettent de se mouvoir dans le marigot, ceux qui ont fait profession de faire carrière dans la politique continuent de se croire indispensables. On parie que Jacques Chirac, dans ses rêveries auprès de maman, se téléporte toujours à l’Élysée ?
En début d’année, on ne va parler que de Giscard. Pensez donc : le 2 février 2016, celui qui n’avait pas cinquante ans lors de son élection à la présidence de la République, celui dont on vantait la jeunesse en 1974, aura 90 ans ! Les interviews sont prêtes, qui n’attendent qu’à être publiées, de celui qui n’aura rien fait d’autre de ces trente-cinq dernières années, chômeur (très bien indemnisé) à 55 ans, que de pondre une constitution pour l’Europe dont les Français n’ont pas voulu et d’attendre, pour le moment en vain, que son vieil ennemi meure avant lui. Ainsi va la France, dont tous les dirigeants haïssent Pétain tout se rêvant dans le même temps en pères de la nation qui accepteraient d’aller du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit, du moment que le lit se trouverait au Palais de l’Elysée.
Bernard Tapie a été condamné dans l’affaire OM/VA et a été déchu de son mandat de député ? Il est allé en prison ? Et alors ? Jean-Christophe Cambadélis a été condamné lui aussi, et à deux reprises, et il est bien premier secrétaire du Parti socialiste, le parti du président de la République. Alain Juppé a été condamné lui aussi, il a été déclaré inéligible lui aussi, et il est bien candidat à la présidence de la République, caracolant en tête des sondages qui lui accordent jusqu’à 70 % des voix face à Marine Le Pen.

« Rendre le chômage des jeunes illégal » !
Le retour de Bernard Tapie, c’est le cadeau de Noël de ce système français qui n’a décidément aucun autre horizon que sa perpétuation. Les Français veulent du populisme ? On va leur en donner, mais pas n’importe lequel : du populisme avec garantie de l’Etat, du populisme estampillé moralement conforme et politiquement convenable. Car le populisme, vocable sous lequel on regroupe toutes les formes de contestation de la suprématie des partis majoritaires, n’est pas une idéologie ; c’est un style, une manière de combattre, de s’adresser au peuple, en niant évidemment être soi-même un populiste.
Écoutons Bernard Tapie annonçant son retour dans Le Journal du dimanche du 20 décembre 2015, près de trente ans après sa première entrée en politique : « À l’époque où j’étais ministre de la Ville, j’avais présenté un projet de loi pour rendre le chômage des jeunes illégal. Que n’ai-je pas reçu comme critiques à l’époque pour ce texte, jugé populiste ! Mais je maintiens qu’il était dans la continuité de l’école obligatoire de Jules Ferry. […} C’est un combat que je veux reprendre aujourd’hui. » Grandiose, non ?
Bernard Tapie est autant et même plus populiste que Marine Le Pen, qui, à force de chercher à se crédibiliser pour accéder à la plus haute des fonctions de la République, laisse une place vacantes pour une autre offre politique qui a le visage de la contestation sans en avoir bien sûr la saveur, et dont la qualité (électorale) première est une démagogie sans aucun complexe.
Tapie, le « populiste décomplexé », est fort en cela qu’il conteste le savoir-faire des dirigeants et lui seul, et qu’il le fait au nom des impératifs moraux dont ils se prévalent, comme le jeunisme, l’habituelle perversité des vieux, et l’antiracisme. L’homme d’affaires ne conteste ni l’orientation générale de la politique suivie depuis les années Mitterrand, ni la légitimité de ceux qui président aux destinées de la France. Là où Marine Le Pen s’oppose de l’extérieur du système en place, lui se place à l’intérieur de ce même système, dont il est une pièce et dont il a toujours été une pièce.
Le retour de Bernard Tapie, c’est une tentative raisonnée du système en place pour détacher de Marine Le Pen ceux qui votent pour elle – et particulièrement les jeunes – parce qu’elle représente l’unique force de contestation des partis dominants qui ont échoué ou parce qu’elle parle plus fort et plus cru que les autres (« Les autres, on sait que ce sont des bons à rien », « Elle, au moins, on comprend ce qu’elle dit ») et, surtout, de mobiliser une autre force électorale, forte de millions d’électeurs potentiels : celle des banlieues.

Terra Nova conçoit, Tapie exécute
Dans son dispositif visant à assurer sa réélection et qui ne s’embarrasse, lui, d’aucun principe moral, François Hollande, continuant à imiter François Mitterrand comme il l’avait fait dès sa campagne présidentielle de 2012, dégaine le « populisme de l’intérieur », celui qui saura aller aussi loin qu’il le faut pour essayer de récupérer, marginalement, l’électorat perdu par la gauche, parti vers Marine Le Pen, en susciter un autre qui ne vote pas, mais aussi détourner en partie celui capté en 2012 par Jean-Luc Mélenchon, dont la candidature en 2017 est le dernier obstacle à la qualification de François Hollande pour le deuxième tour de la présidentielle – et donc, pense-t-il, pour sa réélection face à la présidente du Front national.
Cécile Duflot ? Elle s’achètera. D’ailleurs, c’est déjà en bonne voie, surtout que les écologistes, ou ce qu’il reste de cette branche qui ne s’est pas encore ralliée au Parti socialiste, sortent des élections régionales totalement ruinés. Les communistes ? Ils ont l’habitude de se coucher. Les trotskystes ? Ils ne représentent plus rien. Reste Mélenchon, qui pèse encore de 10 à 12 % des voix. Qu’il se retire de la course et, même si Hollande ne récupère que la moitié de son électorat, c’est le deuxième tour garanti pour le président sortant.
Le cynisme de l’affaire est que c’est à un milliardaire – tant qu’il n’a pas payé les 404 millions qu’il doit restituer à l’État – qu’est attribuée la tâche d’éliminer toute raison à Jean-Luc Mélenchon de persister dans ses intentions présidentielles, en faisant tonner une fibre populiste de gauche qui soit hollando-compatible, ce qu’est assurément l’ancien ministre de François Mitterrand.
Présentant l’interview de Bernard Tapie, Le Journal du dimanche écrit : « En ce début 2016, son message s’adresse à François Hollande. Tout le monde l’aura bien compris. » Au contraire ! Son « message » est celui de François Hollande, auquel il vient apporter son bagout, dût-il faire semblant de l’égratigner durant quelques mois avant de se rallier au moment qui sera jugé opportun, après avoir capitalisé sur son nom auprès de ces électeurs potentiels auxquels personne ne sait s’adresser, ceux dont la fondation Terra Nova a théorisé qu’ils étaient l’avenir de la gauche mais qui, en l’état de l’offre politique, ne se présentent pas dans les isoloirs.

Un petit boulot d’un an et demi
François Hollande sort la carte jeunes, en même temps que la carte banlieues, celle du réservoir de voix. « Si je reçois le mandat du pays d'être le prochain président, je ne veux être jugé que sur un seul objectif : […] est-ce que les jeunes vivront mieux en 2017 qu’en 2012 ? Je demande à être évalué sur ce seul engagement, sur cette seule vérité, sur cette seule promesse ! », avait lancé le candidat François Hollande à la jeunesse « sacrifiée, abandonnée, reléguée » en janvier 2012. Résultat : néant.
C’est là qu’intervient Zorro. Avec une idée simplissime mais qu’il va aller répéter de cabinets ministériels en zone urbaine sensible avec sa capacité de persuasion phénoménale : « J’affirme qu’en capitalisant intelligemment tout ce qui est dépensé à tort et à travers, on aurait de quoi donner un travail à tous les gens qui le souhaitent et qui devront l’accepter. » Surtout qu’il explique après qu’il faut former les jeunes « à des métiers dont le marché du travail a besoin ».
La méthode Tapie, qui en fait un allié inestimable : la gueule, la grande gueule, et le culot, qui lui permettent de présenter une banalité, formulée par une majorité de Français, comme une proposition révolutionnaire. N’a-t-il pas participé lui-même à dépenser de l’argent « à tort et à travers » ? Qu’importe puisqu’il le dénonce, en s’appuyant sur la création de dix mille emplois de 1986 à 1994, ce qui ne fait jamais qu’un gros millier par an !
Le populisme de Tapie instrumentalisé par François Hollande comme il l’avait été par François Mitterrand pour abattre Michel Rocard, c’est l’autre face de l’union nationale prônée par les Raffarin et autres Jean-Marc Ayrault, soit le populisme au service de l’alliance des mous, le populisme au service de la continuation du même mais avec le renfort de troupes nouvelles. Allez les djeunes, bougez-vous, la gérontocratie a besoin de vous !
François Hollande, n’ayant pas trouvé de majorité pour faire adopter le droit de vote des étrangers, a perdu les élections locales. Pour les élections nationales, il lui reste le droit de vote, notoirement sous-exploité, des enfants et petits-enfants d’étrangers. Et là, il n’est pas besoin de faire adopter une loi. Il faut juste savoir leur parler pour les mobiliser. La totalité de la classe politique étant incapable de le faire, Hollande a eu l’idée géniale d’aller chercher le bateleur le plus renommé de France. Justement, il était disponible et avait quelques difficultés financières. Un petit boulot d’un an et demi, dans le cadre d’un plan général de lutte contre le FN, ça ne pouvait que l’intéresser.
Marc Bertric


abonnement
La suite de cet article est réservée aux abonnés, ou par l'achat au numéro. Découvrez nos offres d'abonnements !

Informations supplémentaires

  • Publié dans le numéro :
Dernière modification le

AVIS IMPORTANT A NOS FIDELES LECTEURS QUI ACHETAIENT EN KIOSQUES

Pour préserver la pérennité de votre journal nous avons pris la décision de nous retirer des kiosques et magasins de presse depuis le numéro 2931 du 17 juillet 2019. Nous comprenons bien, dans un monde idéal, la liberté de l’acheteur au numéro, mais cette décision, ici et maintenant, est essentielle pour la survie du titre. Il faut VOUS ABONNER.

Par le site ou chèque à l'ordre de ASM. A envoyer à : SCI BP 20017 - 49260 MONTREUIL-BELLAY PDC 1

Vous pouvez également vous abonner par PRELEVEMENT MENSUEL pour 13 euros.
Pour cela il convient de nous envoyer votre RIB ainsi que vos coordonnées postales par mail ou par courrier.

 

Les derniers numéros

Minute 2959
Minute 2958
Minute 2957
Minute 2956
Minute 2955

Complotisme : la raison domestiquée

Recevoir les infos et promos

tous-les-numeros

pub1

Suivez-nous

© 2012-2017 - ASM - Tous droits réservés

Connexion ou Enregistrement

Identification