Ça a été le grand débat pendant les trois jours avant le premier tour de l’élection. Les fuites de sondages ! « Libé » en a profité pour fai­re sa pub en annonçant qu’à 18 h 30, foi de rebelle, on verrait ce qu’on verrait, sauf qu’à l’heure dite, on pouvait lire sur le site du journal un petit message finalement très correct informant le pigeon de passage que le journal n’était en possession d’aucun élément susceptible d’intéresser le chaland ! « Le Soir » belge, « Le Matin » suisse, « La Tribune de Genève », etc. donnaient pourtant les premiers sondages dès 18 heu­res, et pas besoin d’être un pro de l’informatique pour les trouver. C’é­tait couru. Il y avait pourtant une solution très simple pour éviter la diffusion de sondages, mais personne n’a eu l’air d’y avoir pensé. Il suffisait de les interdire ! « Dimanche, jour d’élection, aucun sondage ne sera effectué à la sortie des bureaux de vote ou ailleurs ». Boum. Là, je peux vous assurer qu’on n’avait pas de fuite. Ni en Suisse, ni en Belgique, ni en Papouasie, ni à « Libé », ni chez Mo­randini, ni nulle part ailleurs. Seulement, si on ne dispose d’aucun sondage à vingt heures, vous pressentez le problème… C’est la grand-messe de la soirée électorale qui pas­se à la trappe ! Trahison ! La tron­che de Pujadas ! Aucun chiffre à don­ner, pas de débat, pas de reportages dans les QG de campagne, pas de militants qui rient, qui pleurent, rien de rien ! Laurence Ferrari obligée d’animer un bêtisier spécial élection ! Les premiers résultats qui tombent à 4 heures du matin ! Est-ce bien raisonnable ? Au prix où est la pub, je vous laisse imaginer si c’est la solution… Mieux valait décidément prendre le risque d’une élection faussée.
Pour le reste, les fameux sonda­ges se sont encore plantés en beauté. Mélenchon devant Le Pen, c’é­tait le scénario qu’ils nous vendaient deux jours avant l’élection. Le Jacobin allait terrasser l’hydre, c’était vendu. Bilan, monsieur l’apprenti populiste s’est fait pipi dessus ! Ça brasse de l’air dans les meetings, ça menace d’égorger le nanti, ça en appelle à Robespierre, ça fait le fier à bras, mais au final ça réunit à peine plus de 10 % de bobos ! Tout cela n’a pas empêché Brice Teinturier de plastronner à la télé : « Mé­lenchon est 4 points au-dessous de nos pré­dictions, Marine Le Pen 4 points au-dessus, mais en gros on avait tout bon », voilà plus ou moins le discours de notre expert préféré, cet abominable nain de jardin qui, à lui tout seul, désespère les cœurs français.
Le véritable événement de cette élection, c’est évidemment le score de Marine Le Pen qui à lui seul mon­tre que sa tactique était la bon­ne. Vivement 2 017… Mais attention, on avance en terrain miné ! Il faudrait être aveugle pour n’avoir pas remarqué qu’une grande partie de la « famille » historique de Marine Le Pen lui a violemment tourné le dos. Divorcée, night clubbeuse, socialisante, on connaît le refrain. Cer­tains, comme notre cher ami Bruno Larebière, ont même appelé, ici même, à voter Sarkozy au premier tour ! Loin de moi l’idée de le juger. On émettra juste un petit dou­te quant à la capacité de Sarkozy de répondre aux interrogations politi­ques profondes de ce patriote sincère.
Et puisqu’on est dans les confidences, laissons-nous aller. J’ai voté dimanche pour la première fois de ma vie. Je passe sur le gymnase sordide où se déroulait l’action, sur le caractère humiliant de ce passe-temps d’esclave et sur la comédie de l’égalité qu’avait noté en son temps l’excellent écrivain polonais Witold Gombrowicz, pour aller à l’essentiel. J’ai voté Marine Le Pen. Sans trop savoir pourquoi. Et puis, professionnalisme oblige, j’ai regardé la soirée électorale à la télévision. J’y ai vu Rachida Dati parler des « Français qui souffrent », Jean-François Copé nous vanter la loi d’interdiction du port de la burqa, Xavier Bertrand nous expliquer que grâce au président la crise a été douce, Lau­rent Fabius nous annoncer que les socialistes allaient remettre le pays d’aplomb, et même Bernard Ta­pie nous rappeler qu’il avait été le seul à avoir voulu ramener le Front national à moins de 10 %, et là soudain j’ai compris pourquoi j’a­vais voté Marine Le Pen. Pour que tous ces gens disparaissent !
Mais allons plus loin dans la con­fidence… Je fais partie de ceux qui pensent qu’une certaine droite libérale, libertaire, cynique, nihiliste, pragmatique, économiste, productiviste, une droite n’adorant plus que le dieu Mammon, une droi­te se vautrant dans l’argent com­me un porc dans la fange, je pen­se qu’une telle droite est pire pour la France qu’une social-démocratie plan-plan, aussi abjecte soit-elle. Et à ceux qui m’objecteront ma­riage homosexuel et droit de vote des immigrés, je répondrai que cette droite-là l’aurait proposé si la tacti­que électorale l’avait commandée.
Cette droite ne nous protège de rien. Elle n’est qu’une gauche, un peu plus dégénérée encore que la gauche, un peu plus vulgaire, un peu plus dégoûtante. Le débat est ouvert !