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Mario Draghi souverainiste malgré lui

Comme prévu, le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, a tiré le 22 janvier dernier son ultime cartouche pour tenter de sortir la zone euro de la crise dans laquelle elle est empêtrée : la bonne vieille planche à billets. Exit la politique du taux d’intérêt, c’est à l’arme lourde que Draghi s’attaque dé­sormais au mal. S’il a été applaudi par les marchés qui savent où est leur intérêt, de nombreux économistes s’inquiètent pourtant des dégâts collatéraux que cette politique de fuite en avant est susceptible d’engendrer. Rebaptisé « Quantitative easing » (QE) ou assouplissement monétaire, le mécanisme consiste à acheter des obligations (pourries) d’Etat à long terme (7 ou 10 ans) sur les marchés, moyennant quoi la BCE créera de la monnaie et l’injectera dans le circuit financier : 60 milliards par mois à partir de mars prochain et jusqu’en septembre 2016 au moins, soit un minimum de 1 140 milliards d’euros.
Le recours à la planche à billets pour financer les Etats membres de l’UE est une mesure qui avait pourtant été interdite dès le traité de Maastricht, confirmé par celui de Lisbonne. Les Allemands, traumatisés par l’hyperinflation des années trente, en avaient fait la condition sine qua non de l’abandon du mark. Mais depuis la crise de 2008, cet « instrument de mesure non conventionnel » est redevenu envisageable pour permettre à la BCE de maintenir son objectif statutaire d’une inflation à 2 %. C’est donc le risque de voir l’Europe s’installer durablement dans la déflation qui a commandé cette mesure exceptionnelle.
Pour l’économiste Jacques Sapir, il y a pourtant une contradiction entre la déclaration de Mario Draghi sur la nécessité de maintenir des politiques budgétaires strictes et cet assouplissement monétaire. « Face au risque de déflation, c’est par la politique budgétaire, et non par la politique monétaire, que l’on lutte contre une récession et une déflation », écrit-il sur son blog. Selon lui, l’assouplissement monétaire a une raison d’être en cas de crise de liquidité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui où l’on vit une crise de la dette.
Le problème est donc qu’il n’est pas du tout évident qu’une telle politique soit à même de relancer l’inflation et l’activité économique. Les Etats-Unis y ont eu recours à trois reprises depuis 2008, pour des résultats que les économistes jugent pour le moins mitigés.
Sans parler du Japon pour qui la planche à billets est devenue une drogue dure (l’Etat émet de la monnaie pour racheter ses propres dettes) dont le pays n’arrive plus à se passer et dont certains économistes comme Olivier Delamarche prévoient qu’elle se terminera par un effondrement du yen aux conséquences planétaires incalculables.
Le rôle du crédit dans la consommation étant bien moins important en Europe qu’aux Etats-Unis, ce QE engraissera ainsi les banques et les marchés mais ne profitera pas, ou peu, aux ménages. A se demander si une telle décision n’a pas été prise dans le seul but d’entretenir l’euphorie boursière par la création d’une nouvelle bulle financière !
Mais le plus extraordinaire, c’est que certains commentateurs ont vu dans cette décision une étape cruciale dans l’intégration de l’euro quand elle pourrait bien au contraire être son tombeau. Contrairement à la FED américaine, la BCE est confrontée, non à un seul Trésor et à une seule dette mais à 19 Trésors et à 19 dettes plus ou moins risquées selon les pays. Pour obtenir l’accord des Allemands, qui en ont marre d’être la vache à lait de l’Europe, Draghi a ainsi dû faire une concession de taille : la BCE ne rachètera que 20 % des titres sur son propre bilan. Autrement dit, le risque des 80 % restants sera supporté par les banques centrales de chaque pays, sans aucune solidarité européenne ! Chaque banque centrale nationale va donc devoir racheter les obligations de son propre gouvernement, ce qui va à l’encontre du princi­pe de mutualisation qui est à la base de la zo­ne euro. « Il faut aujourd’hui reconnaître que l’on a régressé vers la situation de 1999, c’est-à-dire au moment de la mise en place de la zone euro en matière de mutualisation », souligne Jacques Sapir qui y voit le début de la fin de la monnaie unique. Depuis 2010, un mouvement de renationalisation des dettes laissait pressentir la fin du marché unique des dettes au sein de la zone euro. C’est dé­sormais chose faite.
Avec cette action de la dernière chance pour tenter de sortir l’Europe de la crise, Draghi a ainsi ouvert la porte à une renationalisation de la politique monétaire des pays membres de la zone euro. « Il deviendra de plus en plus difficile aux politiciens de la zone euro de prétendre que nous nous trouvons dans un système fédéral, alors que la politique monétaire redevient désormais nationale », conclut Sapir qui s’en réjouit. Qui sait si l’on ne dressera pas un jour, dans chaque capitale européenne libérée, une statue de Draghi avec pour épitaphe : « Au fossoyeur de l’euro, la nation reconnaissante ».   


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