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Le retour de Frankenstein

Nooooooon, il n’a pas osé ! Je ne peux pas y croire ! Dites-moi que je rêve ! Que je fais un cauchemar ! Pincez-moi ! Jetez-moi un verre d’eau au visage ! Je cite : « Il n’y a pas de sujet tabou et l’humour peut et doit faire mal ». Et c’est signé ? Alain Jakubowicz ! Alors là, j’avoue que je suis bluffé, ébloui par l’artiste, abasourdi par le culot…
Il y a dix jours sur Europe 1, prenant prétexte de l’ouverture à Paris du procès d’un ancien officier rwandais accusé d’avoir participé au génocide du peuple tutsi en 1994, l’humoriste et imitateur Nicolas Canteloup donnait un sketch, au demeurant assez drôle, au cours duquel, imitant l’animateur Julien Courbet, il réclamait des comptes à « monsieur Hutu » pour avoir « découpé, machetté et carpaccioté » la famille de « monsieur Tutsi » sans que celui-ci en ait « exprimé le désir ». « Vous lui auriez également coupé les bras bien dégagés au-dessus des coudes […] avec les conséquences désagréables qu’on imagine : perte d’une montre de famille, impossibilité de faire du stop » continuait le comique en verve.
Dès le lendemain, le Cran (Conseil représentatif des associations noires de France) se scandalisait d’un sketch « ignoble », « tournant en dérision les victimes du génocide au Rwanda », saisissait le CSA et réclamait les excuses de l’humoriste, qui les lui refusait. Jakubowicz entrait alors en scène dans « Le Parisien », estimant que Canteloup avait « totalement raison de ne pas s’excuser », qu’il n’y avait pas de sujet tabou, etc.
Soyons clairs : tous ces petits flics de la pensée traquant le « dérapage » en permanence com­mencent sérieusement à nous pomper l’air. S’ils n’aiment pas un sketch, qu’ils éteignent la radio et cessent d’emmerder le monde. Canteloup a donc eu raison de refuser le carton jaune brandi par ces « profs d’humour autoproclamés » et de les envoyer promener. Sauf que…
Sauf que si cette opinion est admise concernant le génocide rwandais, elle ne l’est plus con­cernant la shoah et que l’on ne voit pas très bien les raisons à ce deux poids/deux mesures hallucinant. Docteur Jaku estime qu’il n’y a pas de sujet tabou et que l’on peut rire du génocide rwandais mais Mister Bowicz passe son temps sur les plateaux télé à expliquer qu’on ne peut pas rire de tout, et notamment de la shoah ! Et cela n’a rien à voir avec Dieudonné puisque le président de la Licra révélait dans un documentaire diffusé sur France 2 en décembre dernier que « la question se poserait » aujourd’hui d’interdire les sketchs sur les Juifs de Desproges, dont il reconnaissait pourtant par ailleurs que ce dernier n’était pas suspect d’un quelconque « antisémitisme ».
Le plus cocasse, c’est que Jakubowicz a toujours présenté son « combat » comme « universel ». Selon lui, rire des Juifs n’attise pas seulement la haine des Juifs mais la haine de « l’autre » et c’est en ce sens qu’il faut interdire ce rire. Quelle farce excellente !
Au fond, que nous dit Jakubowicz ? Qu’il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, ni plus ni moins. Il y a le génocide unique, sans précédent, inexplicable, et puis il y a les autres, essentiellement du bricolage, li­mite vulgaire, quelques coups de machette sous la colère, pas de quoi fouetter un chat. Après tout, lorsque l’historien Stéphane Courtois affirmait naguère que « la mort de faim d’un enfant de koulak ukrainien délibérément acculé à la famine par le régime stalinien “vaut“ la mort de faim d’un enfant juif du ghetto de Varsovie », il se trouvait déjà des Benoît Rayski pour hurler au scandale. Rire du premier (la shoah), c’est s’exclure de l’humanité et s’attirer légitimement les foudres de la justice ; rire des seconds (les petits génocides rigolos) est presque un devoir puis­que l’humour « doit faire mal » (en tout cas aux Africains, Ukrainiens et autres Arméniens).
Il me vient parfois à l’esprit que Jakubowicz est une sorte de Frankenstein crée par un vieux nazi pervers, ou espiègle, dans le but de promouvoir efficacement l’antisémitisme de ses rêves. Comment ima­giner en effet qu’une telle sortie ne produise autre chose que du ressentiment à l’égard des Juifs ? Comment imaginer que les Noirs, en l’occurrence, la prennent autrement que pour un glaviot craché sur leur face ?
En estimant que l’antisémitisme ne pouvait s’expliquer que par les antisémites (« si les Juifs n’existaient pas, l’antisémitisme les inventerait »), Sartre a rendu l’antisémitisme incompréhensible, hors la pathologie. Il est malheureusement évi­dent que si celui-ci s’explique en effet par une « passion morbide » dont la tendance monomaniaque et envahissante est réelle, il ne peut se comprendre sans admettre que ceux qui parlent à la place des juifs y contribuent largement, par simple arrogance ou nécessité d’exister à travers lui. En dansant sur la paille avec une allumette enflammée à la main, Alain Jakubowicz en est l’exemple parfait, et par­faitement ignoble.  


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