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L'identité gauchère

L’insécurité est d’abord culturelle, affirme Laurent Bouvet, qui fut l’un des animateurs du courant de la Gauche populaire contre les dérives libérales du Parti socialiste. Cette prise de position implique une remise en cause profonde de tout le discours de gauche depuis François Mitterrand, une nouvelle prise en compte par la gauche de ce qui est absolument fondamental parmi les motivations de l’être humain (et donc de l’électeur) et que l’on nomme identité.

Lecteur et ami de Christophe Guilluy, le géographe qui a pénétré les « fractures françaises », c’est à lui que Laurent Bouvet emprunte ce concept d’insécurité culturelle. Il y a, dit-il, trois grandes tensions, qui créent l’insécurité : la tension entre groupes so­ciaux ou ethniques, qui fait dire qu’il y a « nous » et qu’il y a « les autres » ; la tension entre les ultra-riches et les pres­que pauvres qui composent notre France, en particulier sa partie rurale (on reconnaît là la thèse de Guilluy sur la France périphérique) ; enfin, note ce progressiste, il y a la tension entre l’en-avant et l’en-arrière, les adeptes des valeurs traditionnelles (autour par exem­ple du mariage pour tous) et les nouveaux nihilistes européens (que rien ne contrarie dans le domaine moral).
On ne peut s’attaquer à ces tensions, on ne peut résorber ces fractures, on ne peut revenir à un vrai « commun » (Laurent Bouvet dit « commun » parce qu’il est républicain, là où nous dirions « bien commun ») que si l’on se pose enfin la ques­tion de l’identité commune. Il n’hésite pas à dire que c’est cette attention portée à la question de l’identité qui a fait le succès du Front national.
Quant à la gauche, elle est empêchée d’avoir un discours structurant, un discours rassurant, pour plusieurs raisons ; d’abord son culte des minorités : « En clair, toute surdétermination culturelle devient péjorative lorsqu’elle concerne le groupe majoritaire, c’est-à-dire en clair les hommes blancs, hétérosexuels, autochtones, etc. » « Politiquement de telles contraintes ont contribué à rendre le combat de la gauche contre le Front national depuis 30 ans, sinon vain, du moins inefficace. »
Que faire ? L’« économicisme » (la priorité à l’économie dans le discours) est insuffisant. Au fond, Laurent Bouvet s’arrête là. Il ne nous en dit pas plus, c’est son seul vrai credo : « On reproche souvent aux universitaires et aux chercheurs de ne pas apporter de réponses aux questions qu’ils soulèvent », écrit-il. Comment rejoindre les attentes des Français par la gauche ? La solution de Bouvet est manifestement de tabler sur la laïcité et sur la République. Encore une fois… Comme dimanche 11 janvier…

Il n’offre hélas
aucune proposition nouvelle
Son drame, c’est qu’en véritable hom­me de gauche, il n’imagine rien au-delà de la sociologie. Il ne voit pas que le malaise actuel n’est ni social ni sociétal et que ce n’est pas la sociabilité républicaine (avec toute sa froideur) qui permettra de surmonter une crise qui est au fond anthropologique et spirituelle.
Ce livre sur l’insécurité culturelle a le mérite de poser un diagnostic décontracté sur la crise : un homme de gauche ose utiliser le concept d’identité ? Fort bien. Mais il n’offre hélas aucune proposition nouvelle pour introduire l’identité dans la politique de gauche. Il nous entretient de la République et de la soumission nécessaire que tous lui doivent. On est dans une sorte de morale politique, qui n’a rien à voir avec « l’insécurité culturelle » dénoncée pourtant si justement par Laurent Bouvet. Bref : on n’est pas sorti de l’impasse.
Ce livre sur l’insécurité culturelle est sorti en librairie le 7 janvier ; c’est comme un signe. Cette insécurité n’est pas un mot ! Le 7 janvier est le jour où, en France tout au moins, nous avons changé de monde. Le psittacisme idéologique peut continuer à faire rage dans les élites ou chez les journalistes, qui col­lent aux élites. Il peut même empêcher de raisonner ceux qui, comme Laurent Bouvet, voudraient bien s’en extraire. Je suis persuadé qu’à la longue, à l’usure, c’est ce discours vrai qui sera retenu. Les vraies fractures françaises finiront par s’imposer à l’attention de ceux qui croient nous gouverner parce qu’il font – très mal – un peu de gestion. Mais il sera très tard.     
Joël Prieur

Laurent Bouvet, L’Insécurité culturelle, éd. Fayard, 184 pp., 12 euros.


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