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Pourquoi nous ne pleurerons pas Simone Veil

Simone Veil est morte, et à en croire un discours de plus en plus répandu, « sa » loi légalisant l’avortement est morte et enterrée elle aussi. La loi Veil de 1975 n’était-elle pas très différente du dispositif actuel qui a fait de « l’IVG » un véritable droit de la femme ? Les évolutions législatives, adoptées l’une après l’autre quasiment sans résistance, constituent-elles un reniement de ce que voulait Mme Veil ?

Lorsque Simone Veil est chargée, en 1974, de porter la loi de dépénalisation de l’avortement, au terme d’une campagne de préparation des es­prits menée avec beaucoup de sa­voir-faire par les ingénieurs sociaux de l’époque, elle apparaît comme une personnalité irréprochable. Femme et rescapée des camps, qui d’autre qu’elle aurait pu parler de la souffrance de celles qui meurent à la suite d’avortements clandestins sans qu’on ose lui op­poser l’injustice à l’égard de l’enfant à naître que « l’interruption volontaire de grossesse » élimine de manière tout à fait définitive ?

Et  pour adopter,
on fait comment ?
Hypocrisie ou naïveté, elle a porté la parole des loges et celle de Valéry Giscard d’Estaing et de Jacques Chirac en plaidant pour une loi de « santé publique », pour la tolérance de ce qui se faisait de toute façon et qui parfois causait la mort des femmes « contraintes » de choisir l’avortement dans des conditions terribles.
« Aucune femme ne recourt de gaîté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. C’est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme », proclamait-elle à la tribune de l’Assemblée nationale. A l’époque, les associations pro-vie annonçaient déjà combien cela se révélerait illusoire.
Mais enfin, il y avait des conditions. De délai : douze semaines d’aménorrhée (dix semaines de gestation), mais aussi la mise en place d’un double entretien avec un médecin et d’un délai de huit jours obligatoires de réflexion avant de pratiquer l’intervention : un devoir de dissuasion. Les femmes de­vaient recevoir une information sur les aides sociales leur permettant de garder leur enfant et même sur la possibilité de confier celui-ci à l’adoption.
Précisons d’emblée qu’on attend toujours la preuve de l’existence de ces dispositifs. Qui a jamais vu le moindre dépliant d’information estampillé par le gouvernement et détaillant les ris­ques de l’avortement, sa réalité, des adresses se chargeant de mettre en relation les femmes en détresse avec des organismes d’adoption ? Qui a créé des centres d’accueil pour futures mères sinon des associations privées, le plus souvent catholiques ? La condition de détresse, même s’il appartenait en définitive à la femme de l’affirmer, était bien présente dans la loi. On ne sache pas non plus qu’il y ait eu des vérifications très serrées.

Une « expérience »
à un million de morts
C’est pourtant un discours que partageaient tous les partisans de la dépénalisation à l’Assemblée. Dans la France de 1974, la loi n’aurait eu aucu­ne chance de passer autrement. Mais l’ancien grand maître de la Grande Lo­ge de France et co-fondateur du Planning familial Pierre Simon, qui relate l’adoption de la loi dans son livre De la vie avant toute chose, dit publiquement dès 1979 l’objectif de ce combat : il fallait considérer la vie humaine comme ma­tériau.
« Ce combat n’est pas seulement technique, mais philosophique. La vie comme matériau, tel est le principe de la lutte. La révision du concept de vie par la contraception transformera la société dans son intégralité », affirmait-il. L’avortement sui­vrait, achevant la révolution. Pierre Simon espérait qu’un jour l’IVG sortirait totalement du do­maine de la conscience des femmes par la mise en pla­ce d’une visite médicale mensuelle assortie d’une aspiration menstruelle sys­tématique, de telle sorte qu’aucune ne saurait plus jamais si elle avait avorté ou non.
L’idée n’a pas pris – ce n’est pas très étonnant – mais le concept de la banalisation de l’avortement, présent dès l’origine, s’est traduit par des actes d’assouplissement successifs de la loi tels qu’il ne reste plus rien ou presque de la « loi Veil » d’origine.
Votée à titre expérimental, pour don­ner aux uns et aux autres l’idée qu’on pourrait faire marche arrière, la loi Veil a été adoptée de manière définitive à la fin de 1979, Monique Pelletier étant ministre de la Santé. On avait déjà atteint environ un million d’IVG, à raison de quelque 200 000 avortements par an, un chiffre qui en définiti­ve n’a que peu varié depuis la toute première dépénalisation.

En janvier 1993 naît…
le délit d’entrave
Pourquoi donc s’applique-t-on à mo­difier sans cesse une loi alors que la situation sur le terrain demeure à peu près la même ? L’efficacité se révèle nul­le, qu’il s’agisse de faire diminuer le nom­bre d’IVG comme on l’a prétendu au tout début ou d’en faciliter l’accès, com­me cela a été le cas dès les premiè­res modifications. La raison est donc forcément idéologique.
Dans un premier temps, parce que l’avortement est un acte « que la société tolère mais qu’elle ne saurait ni prendre en charge ni encourager » comme l’avait dit Simone Veil à l’Assemblée nationale, l’a­vortement n’était pas remboursé. Cela a changé du fait de la loi du 1er janvier 1983 : l’avènement du socialisme mitterrandien avait rendu la chose possible.
Mais il y avait des empêcheurs de tourner en rond. Des groupes de militants pour le respect de la vie multipliaient les actions pacifiques, allant jusqu’à s’enchaîner dans des salles d’avortement. Il fallait que ça cesse. C’est par la loi du 27 janvier 1993 que la loi Neiertz inventait et réprimait le « délit d’entrave à l’IVG ». Faisant de l’a­vortement le seul acte médical protégé par une loi pénale, elle punissait toute perturbation de l’accès aux établissements de santé pratiquant des avortements ; l’interdiction de toute pression morale et psychologique en vue de les empêcher viendrait plus tard, en 2001.
En 1994, l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal a marqué une grande nouvelle étape : la disparition du délit d’avortement provoqué en tant que tel. On opérait un renversement de perspective puisque désormais, il n’était plus question d’avortement. L’interruption de la grossesse sans le consentement de l’intéressée était punie de cinq ans de prison et de 500 000 francs d’a­mende : il s’agissait avant tout de faire respecter la volonté de la femme. L’interruption illégale de la grossesse, qualifiée dans un autre article – hors délais par exemple – n’était plus punie que lorsqu’elle était pratiquée « sur autrui ». La jurisprudence à ce sujet est maigre, voire inexistante.

Jouissez et avortez
sans entrave !
Le grand bouleversement suivant remonte à 2001 et la première chose à en dire est que l’affaire ne suscita guère de remous dans la société française. L’abandon de la logique de la loi Veil date pourtant de ce moment-là. Médiatiquement, on en fit la loi d’allongement des délais : s’alignant sur la majorité des pays européens, la France au­torisait l’avortement pendant les douze premières semaines de gestation. Mais aux termes des lois Aubry disparaissait le délit d’interruption illégale de grossesse.
On balayait en même temps de nombreuses dispositions du Code de la santé mettant une limite à l’avortement libre : l’entretien obligatoire préalable devenait facultatif pour les fem­mes majeures, le délit de provocation à l’avortement était aboli, la publicité pour l’avortement devenait légale et l’objection de conscience était restreinte, puisque dès lors, les médecins objecteurs avaient obligation de renvoyer leurs patientes demandant l’IVG vers un confrère plus accommodant. A l’hôpital public, les chefs de service de gynécologie obstétrique étaient désormais tenus d’organiser des IVG.
C’est depuis cette date que le Planning familial notamment, grâce au financement du conseil régional d’Île-de-France, multiplie les campagnes dont le slogan recommande l’avortement comme un bien : « Sexualité, con­traception, avortement, un droit, mon choix, notre liberté. »
L’arrivée de François Hollande au pouvoir en 2012 a marqué une nouvelle étape. Comme il l’avait promis, le président socialiste a décrété la gratuité totale de l’avortement par un texte en­tré en vigueur le 31 mars 2013 – c’était le dimanche de Pâques. L’année suivante, en 2014, une nouvelle extension du délit d’entrave a permis de sanctionner les associations qui informent sur les conséquences négatives possibles de l’avortement sur la santé physique et mentale de la femme qui subit une IVG. Délit d’opinion.
On sait que cela ne leur a pas suffi, puisque, depuis l’adoption de la loi du 15 février 2017, les sites Internet présentant les inconvénients de l’avortement et, surtout, les organismes proposant un service d’écoute aux femmes envisageant un avortement pour les aider, en définitive, à garder leur enfant, tomberait sous le coup de l’interdiction de la diffusion de « fausses informations » sur l’IVG.

Et tuer devint
un « droit fondamental »
A tout cela, il faut ajouter un texte non contraignant adopté sous forme de résolution parlementaire le 26 no­-vem­bre 2014, qui « réaffirme l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les femmes, en France, en Europe et dans le monde ». La portée symbolique de ce texte dépasse largement son cadre légal restreint. Elle confirme ouvertement que le droit à l’avortement est désormais un tabou, une loi morale qui ne souffre pas de transgression, à l’inverse du droit de vivre.
On vient de loin. Simone Veil pouvait-elle prévoir ces évolutions ? Les aurait-elle acceptées si la légalisation de l’avortement ne s’était pas entourée de tant de précautions ? Elle n’a jamais exprimé de regret, c’est tout ce que l’on sait.
Et force est de constater que dans le monde, les choses se sont souvent passées ainsi : dans un premier temps, on met en exergue des situations très difficiles – danger pour la santé de la mère, viol, malformation de l’enfant à naître, grande détresse économique – et, avec le temps, on s’oriente vers un droit à part entière.  Ainsi en Grande-Bretagne, la condition de danger pour la vie ou la santé mentale de la mère reste en vigueur, ainsi que l’obligation d’avoir l’avis fa­vorable de deux médecins, le délai lé­gal étant de vingt-quatre semaines de grossesse. En pratique, ces conditions n’empêchent aucune intervention et on en compte en moyenne 190 000 par an.
Mais une très récente proposition de la principale association de médecins, la British Medical Association, vise à faire sortir définitivement l’avortement du domaine pénal : l’avortement deviendrait un acte totalement banalisé n’entraînant aucune sanction pour le médecin qui le procurerait dans n’importe quelle circonstance et à n’importe quel moment de la grossesse.
Tout cela ne serait pas possible sans la transgression première qui consiste à justifier l’élimination d’un être humain avec la bénédiction de l’Etat. En France, Simone Veil en porte la responsabilité, une responsabilité qu’elle n’a jamais reniée.    
Jeanne Smits

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