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Marie-Antoinette, pour toujours

Beaucoup de gens ont évoqué Marie-Antoinette et ses derniers instants, mais, d’Alexandre Dumas à Stephan Zweig, ce sont plutôt des hommes de lettres, touchés par ce destin unique. Les derniers jours de Marie-Antoinette n’avaient jamais été ra­diographiés par un spécialiste de la science historique comme en témoignent les cartons intacts de la Bibliothèque nationale. Le résultat vaut la pei­ne que s’est donné l’historien ! Surtout lorsque cet historien sait lui-même manier la plume comme un authenti­que écrivain, ménageant ses effets et ci­tant tantôt Shakespeare tantôt Anouilh (pour Antigone bien sûr). C’est que la destinée de Marie-An­­toinette est tragique, au sens le plus fort de ce terme, non pas seulement parce qu’elle finit mal mais parce que toute sa vie semble reposer sur des malentendus successifs et sur une sorte de tropisme du malheur. On pense au mot étonnant de Pierre Sipriot, son dernier biographe : « Cette femme qui n’a pas connu un seul jour de vrai bonheur a fait de la gaieté un mode de vie, par bienséance » ; oui : par éducation. Tout comme c’est par éducation qu’au moment de sa mort, elle s’excusera auprès du bourreau parce qu’elle lui a écrasé le pied : « Pardon Monsieur le bourreau. » Waresquiel d’ailleurs ne croit pas à cette histoire, sur laquelle il passe en quelques lignes ; c’est domma­ge. Il y a des anecdotes qui sont parfois plus vraies que la réalité, même et surtout quand elles sont fausses. Si non è vero è bene trovato : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé. La reine, élevée de manière irréprochable, à la cour de Vienne se voit re­pro­cher par son ennemi personnel Hé­bert, l’homme du « Père Duchesne », ce journaliste d’extrême gauche qui ponctue ses phrases de « Foutre ! » retentissants, d’être une lesbienne et une pédophile initiant à Priape ses propres en­fants. On ne peut pas imaginer con­traste plus insoutenable entre les fantasmes des hommes et la réalité d’une femme, qui, selon Waresquiel, fut tout au respect de soi-même dans une sorte de courage du désespoir qui ne la quit­ta jamais et se haussait sans phrase en une inusable politesse. La camarde qui lui prend son premier enfant Marie-Antoinette de Lorraine est née à Vienne le 2 novembre 1755, jour des morts, lendemain du tremblement de terre de Lisbonne qui jeta la consternation dans toute l’Europe. Mauvais présage. En 1770, elle traverse le Rhin, épousant le dauphin Louis de France, un gros garçon, un taiseux comme di­sent les Belges, qui n’aura toute sa vie que deux passions : la mécanique et la chasse. Sa femme ? Il mettra longtemps à découvrir qu’il l’aime. Elle attendra huit ans avant d’avoir enfin un premier enfant : une fille. Plus tard, le premier dauphin meurt de la tuberculose : elle fait chaque jour le voyage de Versailles à Marly pour le soutenir maternellement. Sa tendresse ne pourra rien faire contre la camarde qui lui prend cet enfant. Elle appellera son autre garçon « le chou d’amour ». On le lui enlèvera pour le confier au hideux cordonnier Simon. C’est lui qui ap­pren­dra à cet enfant les mots d’adultes par lesquels il dénoncera sa mère et sa tan­te… Ses avocats arrêtés à la sortie du procès, parce qu’ils avaient été trop éloquents De vie affective, Marie-Antoinette n’eut pour ainsi dire pas. Elle se devait à son état de reine. Mais sa légèreté direz-vous ? Et Fersen, le bel amant sué­dois ? Je n’avais jamais eu l’occasion de lire ailleurs ce que Waresquiel écrit de ce couple uni par un amour platonique. On vient de déchiffrer plusieurs lettres dans lesquelles les lignes les plus compromettantes avaient été biffées. Pour lui, nous sommes dans une sorte de romantisme traditionalis­te. La reine a certainement lu Rousseau, la Nouvelle Héloïse. Elle vit un amour pro­fond. De son côté Fersen ne l’abandonnera ja­mais. C’est lui qui organise la fuite à Varennes ; lui en­core sur lequel repose les der­niers espoirs de la reine, qui n’a jamais voulu croire, jusqu’à la dernière secon­de, que son destin se soit irrémédiablement refermé sur elle-même, comme d’ailleurs il devait se refermer sur au moins la moitié des juges, des jurés, sur l’accusateur public et les assesseurs, comme sur ses deux avocats (arrêtés à la sortie du procès, parce qu’ils avaient été trop éloquents). Il y a « deux mondes absolument antagoniques, irréductibles l’un à l’autre, deux mondes qui en apparence coexistent, se parlent, se touchent, mais ne s’entendent pas. Cet autisme-là conduit tout droit à la mort. La mort de Marie Antoinette et de ses amis, la mort de ses accusateurs et de ses juges. Cette communauté tragique de destin m’a fasciné. On est bien obligé d’en convenir : nous avons bâti notre république puis la démocratie sur des tas de cadavres. »

Joël Prieur Emmanuel de Waresquiel, Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793, éd. Tallandier, 368 p., 22,50 euros.

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