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La véritable éminence grise

On s’acharne sur Patrick Buisson. Pour les sarkozystes, il est le traître suprême, le confident qui n’a pas hésité à enregistrer subrepticement les propos de son maître avant de colporter dans son dernier ouvrage les ragots les plus vils. Les commentateurs, eux, ne pardonnent pas au maurrassien (horreur suprême !) les propos honteusement réactionnaires qu’il avait soufflés à Sarkozy lors de la campagne de 2007. Bref, l’ancien conseiller mériterait de figurer au pandémonium des éminences grises aux funestes conseils. Dans cette histoire, on oublie un peu la première – la vraie – éminence grise. Il est vrai que le père Jo­seph du Tremblay traîne une sulfureuse réputation. Michelet le décrit comme « le premier fourbe de la terre, crevant d’ambition rentrée », tandis que, dans son Cinq-Mars, Alfred de Vigny en fait une sorte d’inquisiteur athée recourant aux procédés les plus ignobles. Le véritable Père Joseph est autrement plus fascinant, voire attachant, que ces caricatures romantiques. François Leclerc du Tremblay nait en 1577 dans une famille de noblesse de robe. Fils aîné d’un président de la chambre des requêtes du Parlement de Paris, il reçoit une éducation poussée avant d’embrasser la carrière des armes. C’est ainsi que celui qu’on appelle le baron de Maffliers sert sous la bannière d’Henry IV lors du siège d’Amiens, en 1597, avant de s’initier à la diplomatie lors d’une ambassade à Londres. Sa carrière prend alors un tournant inattendu : le gentilhomme aux débuts prometteurs quitte l’épée pour prendre l’habit des capucins. Cette décision, qui paraît si surprenante à notre époque sécularisée, est dans l’air du temps : après tout, Richelieu n’entrera dans les ordres que parce que son frère, censé devenir évêque de Luçon, préfère le silence du monastère de la Grande Chartreuse. Du reste, après son noviciat, le jeune capucin connaît une ascension rapide. Professeur de théologie au couvent de la rue Saint-Honoré, celui que l’on appelle maintenant le Père Joseph de Paris va très vite devenir un prédicateur réputé. Ce moine qui pratique une ascèse rigoureuse (cilice et discipline compris) va même fonder un ordre religieux : celui des Bénédictines de Notre-Dame du Calvaire (appelé aussi Filles du Calvaire), lesquelles fêteront l’an prochain leur quatre centième anniversaire. A tout cela, s’ajoutent des ouvrages mystiques et une intense activité missionnaire. C’est dans ce cadre strictement religieux qu’il se liera d’abord avec celui qui n’est encore que l’évêque de Luçon. Nous sommes en 1612 et Mgr de Richelieu souhaite faire appliquer dans son diocèse les décisions du concile de Trente (clos en 1563), décisions encore à peu près ignorées dans le royaume de France. Les deux hommes d’Eglise sont d’accord sur ce point et le Père Joseph soutiendra les efforts du jeune évêque. C’est le début d’une longue complicité et même d’une amitié profonde. Diplomate avisé, excellent négociateur et disposant de l’impressionnant réseau capucin à travers l’Europe, celui qui va devenir l’Eminence grise va se mettre entièrement au service de son ami Richelieu devenu cardinal et principal ministre de Louis XIII en 1624. Pour cela, il sacrifiera son rêve de croisade des royaumes catholiques contre les Turcs. Il s’agit maintenant d’abaisser la puissance des protestants à l’intérieur du royaume et surtout de briser la tenaille des Habsbourg qui tient la France entre l’Espagne, l’Autriche et les Pays-Bas espagnols. Tant pis s’il faut pour cela s’allier avec les Suédois protestants et déplaire au puissant parti dévot qui en tient toujours pour l’alliance espagnole. On verra ainsi le célèbre froc gris à Rome, mais aussi dans les camps militaires. Pratiquant parfois une certaine duplicité, le religieux fervent fait sienne la remarque du ministre : « Autres sont les intérêts d’estat qui lient les princes et autres les intérêts du salut de nos âmes. » Entre Richelieu et le Père Joseph, la confiance est totale. Le cardinal dispose d’un auxiliaire dévoué qu’il appelle affectueusement son « Ezechiely » ou « tenebroso cavernoso ». De son côté, notre capucin n’hésite pas à rabrouer sèchement le Cardinal dans ses moments de doute ou de découragement, allant jusqu’à le traiter de « lâche » et de « poule mouillée ». Richelieu voudra consacrer ce dévouement unique en demandant pour lui la pourpre. Mais l’éminence grise ne deviendra jamais rouge. Le Père Joseph meurt en 1638 d’une attaque d’apoplexie. Dans le même temps, Turenne et le duc de Weimar accomplissaient l’un de ses rêves en prenant la forteresse impériale de Brisach, Pour ceux qui se veulent aujourd’hui des éminences grises, il y a des modèles moins nobles..

Jean-Michel Diard

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