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L’honneur sali de Nadine Morano

La seule chose de scandaleuse, dans « l’affaire Morano », c’est que ce soient ses propos qui aient suscité un scandale plutôt que ceux de Yann Moix, qui lui faisait face. Quand on n’a plus la mémoire de rien, on s’indigne des évidences historiques.

Le scandale, immense, suscité par les propos de Nadine Morano nécessite que l’on en revienne à l’émission, au moment où la phrase prétendument scandaleuse a été tenue. Face à l’ancien ministre de François Fillon, devenu député au Parlement européen, se tiennent la journaliste Léa Salamé et le chroniqueur Yann Moix, qui ne comprend jamais rien à rien mais a un avis péremptoire sur tout, et qui avait déjà été odieux avec l’intellectuel Michel Onfray, lequel lui avait balancé : « Il ne faut pas vous essayer à la pensée, c’est pas fait pour vous ! »
En visionnant l’émission, on s’aperçoit que le véritable propos honteux de la soirée ne sort pas de la bouche de Nadine Morano mais, au même moment – puisqu’il lui coupe la parole – de celle de Yann Moix, émis avec la suffisance, comme disait Céline, du « moindre obstrué trou du cul [qui] se voit Jupiter dans sa glace ».
« Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général De Gaulle le disait, de race blanche, qui accueille des personnes étrangères »… Nadine Morano n’a pas le temps de finir sa phrase. « Peut-être momentanément », la coupe Yann Moix. Il fait référence au christianisme. « Il n’y a pas une France éternelle, ajoute-t-il. Un jour la France pourra être musulmane. Et ça sera comme ça. Ce sera le poumon de l’histoire. » Morano rétorque qu’elle n’a pas envie que la France devienne musulmane et Moix, la mine apitoyée : « C’est bien dommage. C’est bien dommage », tandis que les applaudissements s’enclenchent et reprendront quand Moix croira railler Morano une nouvelle fois en lui lançant avec l’air supérieur du con houellebecquien : « Votre repère c’est Clovis j’imagine, en tant que chrétienne… » Mouarf mouarf.
On est donc passé illico presto de la race à la religion, sans que les propos collaborationnistes de Moix ne fassent scandale et avant que les propos descriptifs de Morano le suscitent, relevés, deux minutes plus tard – une éternité à la télévision – par Laurent Ruquier, qui note qu’« il y a depuis des décennies des couples mixtes et des enfants qui ne sont pas de peau blanche », ce que Nadine Morano reconnaît naturellement (« Je pense que ça, c’est la grandeur de la France »).
Auraient-ils pris le temps de visionner ce passage d’On n’est pas couché, diffusée sur France 2 le samedi 26 septembre, que tous ceux qui ont lynché ou mis en accusation Nadine Morano auraient hurlé… à rien ou, peut-être – qui sait ? –, dénoncé l’ignominieuse insolence de Yann Moix, le soumis par anticipation.

Les deux torts de Morano
Hélas, dans la France de 2015, le système politico-médiatique – l’un ne marchant pas sans l’autre – ne fonctionne pas ainsi. On s’indigne d’abord, on s’informe ensuite – ou on n’en prend même pas le temps. L’important n’est pas de réagir à un fait avéré ; l’important est de réagir tout court, suffisamment vite et suffisamment fort pour être audible, dans le sens que souhaite une machine médiatique qui pourrait bien faire de vous sa prochaine victime si, par malheur, vous étiez trop timoré.
Nadine Morano, qu’il est de bon ton de présenter comme une conne – disons les choses clairement –, a eu un tort ou plutôt deux. Le tort principal a été d’accepter l’invitation d’On n’est pas couché alors… qu’elle n’est pas conne. Quiconque a quelque chose à dire n’a rien à y faire dans la mesure où toute expression d’une pensée construite, constituée de plus deux phrases, y est proscrite. Le deuxième tort est d’avoir essayé d’exprimer une pensée qui ne peut se comprendre que dans le cadre d’un temps long, notion incompréhensible pour les homo sapiens qui peuplent les plateaux de télévision et en vivent – à la notable exception de Frédéric Taddeï, l’animateur de Ce soir (ou jamais !).
« Il y a une dégradation par le bas en même temps qu’il y a une frilosité dans le haut, écrivait l’ancien avocat général Philippe Bilger le mois dernier. Plus la télévision s’enivre d’une chienlit qui ne choque plus personne mais suscite une adhésion indécente, plus la pensée vraie, vigoureuse, âpre, non consensuelle effarouche. Ce n’est pas sans lien. Etiqueter quelqu’un de “salaud“ [comme venait de le faire Yann Moix à l’égard de Patrick Devedjian, Ndlr] évite d’avoir à questionner, dans la nuance et l’intelligence, ce qui a été proféré ou écrit. C’est la déplorable rançon d'une médiatisation qui répudie le complexe parce que le sommaire est son registre naturel, son confort de tous les instants. »

Une anomalie dans l’histoire
Les propos de Nadine Morano (« Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général De Gaulle le disait, de race blanche, qui accueille des personnes étrangères… »), s’il ne restituent pas au mot près la phrase prêtée à De Gaulle par Alain Peyrefitte dans C’était De Gaulle (« Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne »), en livrent très bien le sens et la complexité. Ce qu’a dit De Gaulle, et qui aurait pu donner lieu à un débat tout à fait passionnant, c’est que le peuple français est intrinsèquement un peuple européen et que ce peuple européen, celui qui a conçu et édifié la civilisation européenne, était un peuple de race blanche au moment où il l’a fait – et encore quand De Gaulle prononçait ces propos.
Il faut être obtus comme Yann Moix pour ne pas comprendre que les quelques décennies que nous venons de vivre – et, peut-être, celles qui vont suivre – constituent une anomalie dans l’histoire de l’Europe et donc de la France (du grec anomalia, irrégularité), une anomalie qui est en train de modifier substantiellement la civilisation du continent. C’est d’ailleurs ce que Moix reconnaît lorsqu’il dévie sur l’islam, qu’il associe à l’arrivée de populations nouvelles et allochtones.
De Gaulle n’a jamais nié qu’il y ait des Français d’autre couleur que blanche. Pas plus que Nadine Morano ne le fait. Dans la citation évoquée, « avant tout » est aussi important que « race blanche ». Le propos de De Gaulle n’est pas exclusif, il est constitutif. « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns, disait De Gaulle. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. » C’est très exactement le propos de Nadine Morano.

De Gaulle a eu de la chance
Mais au fait, ces citations de De Gaulle, tant citées, sont-elles authentiques ? Peyrefitte les rapporte dans un ouvrage publié un quart de siècle après la mort du fondateur de la Ve République. Les Mémoires d’espoir sont, eux, parus en 1970 et Charles de Gaulle les a écrits de sa main. Le manuscrit est conservé à la Bibliothèque nationale de France.
Dans ceux-ci (tome I, chapitre sur l’Europe, page 181), De Gaulle écrit : « Pour moi j’ai, de tous temps, mais aujourd’hui plus que jamais, ressenti ce qu’ont en commun les nations qui la peuplent. Toutes étant de même race blanche, de même origine chrétienne, de même manière de vivre, liées entre elles depuis toujours par d’innombrables relations de pensée, d’art, de science, de politique, de commerce, il est conforme à leur nature qu’elles en viennent à former un tout, ayant au milieu du monde son caractère et son organisation. »
De Gaulle a eu de la chance, beaucoup de chance, de ne pas connaître notre époque. Ses phrases sont longues. Elles font parfois dix lignes. Sa syntaxe est classique – complexe donc. Lorsqu’il parle de la France, et de l’Europe, il embrasse, en un même élan, trente siècles – si ce n’est plus – d’histoire de la patrie et de la civilisation. Comment Yann Moix, Jean-Christophe Lagarde, Nicolas Sarkozy ou Florian Philippot, tous ceux qui ont accablé Nadine Morano, pourraient-il le comprendre ?    
Marc Bertric

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