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Faites entrer l’accusé... Gaston Defferre !

Ce 3 décembre sort La French, que « Minute » a vu en avant-première. Ce film remarquable retrace le combat qu’à Marseille, au tournant des années 1970-1980, le juge Michel (formidable Jean Dujardin) a mené contre le caïd Gaëtan Zampa (Gilles Lellouche). Mais, surtout, La French attribue un rôle très important à Gaston Defferre (Féodor Atkine), maire socialiste de la ville de 1953 à sa mort en 1986.

«Librement inspiré de faits réels. » L’avertissement précède le film. Le réalisateur Cédric Ji­menez, un Marseillais pur jus, s’est montré très inspiré pour porter à l’écran une affaire qui a sali à tout jamais l’image de la ville. Son film ne retrace pas l’enquête qui a suivi l’assassinat du juge Pierre Michel le 21 octobre 1981 ; il ex­plique pourquoi et comment ses investigations ont amené Marseille à vouloir l’éliminer. Et Gaston Defferre est convoqué sur le banc, sinon des accusés, du moins des principaux témoins.
Le juge Michel, muté à Marseille en 1975, se lance dans une croisade contre les trafiquants d’héroïne qui animent la « French Connection », un trafic à destination des Etats-Unis (1). Son ennemi numéro un devient Gaëtan Zampa, le parrain de la pègre locale. Pour remonter jusqu’à lui, le juge identifie un voyou qui fait venir la morphine-base depuis la Turquie, un certain Minassian. Celui-ci est le frère d’un conseiller municipal proche de Defferre. Le ju­ge s’invite alors dans le bureau du maire pour lui demander des comptes. Defferre menace : « Vous allez trop loin ! » Le juge riposte : « Je vais convoquer la presse. Je vais dire aux Marseillais dans quelle ville pourrie ils vivent ! »

La réalité derrière la fiction
Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République ; Gaston Defferre devient ministre de l’Intérieur. Place Beauvau, le premier flic de France reçoit Pierre Michel. Il l’assure de son soutien. Le ju­ge n’en revient pas : pour lui, Defferre a « retourné sa veste » !
Problème : à Marseille, Pierre Mi­chel est entouré de flics véreux. Un jeune inspecteur informe le juge que les commissaires Ange Mariette et Bianchi sont les chefs de la « Brigade des condés corses », qui sont de mèche avec Zampa, via un intermédiaire, un certain Da Costa. Ce Da Costa est mem­bre, comme les ripoux, du SAC, le Service d’action civique, officine créée sous De Gaulle pour servir les intérêts de la droite gaulliste. Mais malgré les bâtons qu’on lui met dans les roues, le juge Michel obtient des résultats. Le 8 juillet 1981, à Saint-Maximin (Var), il démantèle un laboratoire de transformation de la morphine base en hé­roïne. Parmi les voyous arrêtés, on trouve Minassian et Da Costa.
Et ce n’est pas que du cinéma. Dans la réalité, ces personnages ont réellement existé. Minassian s’appelait Mitzigar Nazarian dit Georges Nazarian ; et son frère, Ralfi, siégeait bien à la mairie de Marseille.
Le juge Michel avait sous la main un témoin, Lucette M., qui était la maîtresse des deux frangins et leur servait de boîte aux lettres (2). A cette femme, le juge avait beaucoup de questions à poser : y avait-il un système de corruption à la mairie de Marseille ? Avait-elle reçu chez elle des personnalités de la ville ? Etait-il vrai qu’un député, d’o­rigine corse et ami de Defferre, recevait des cadeaux de Zampa ?
Quant à Da Costa, dans la réalité il se nommait Marc Chambault. Contact de Zampa, il fréquentait aussi les gens du SAC à l’auberge « Chez Grand-Mère » à Nans-les-Pins, un village du Var. Il pouvait en savoir long sur la tuerie d’Auriol, l’assassinat de Jacques Massié, responsable local du SAC, avec toute sa famille, commis le 18 juillet 1981 dans une bastide près de Marseille.

Les tueurs sont libres
Le juge Michel n’entendra jamais leurs confessions. Ou, s’il les a entendues, il les a emportées dans la tombe. Le 21 octobre 1981, à proximité du Sta­de Vélodrome, alors qu’il est au guidon de sa Honda 125, il est abattu com­me un chien par deux tueurs à moto. Il avait 38 ans. Aussitôt, Zampa est désigné comme le commanditaire. En ca­va­le, il est finalement arrêté le 27 no­vem­bre 1983. Dans La French, un discours de Gaston Defferre est reconstitué. Le ministre de l’Intérieur rend hommage au juge : « C’est une lourde perte pour la France. Il faut que justice soit faite. » Or à l’image, Gaston Defferre est encadré par les commissaires Ange Mariette et Bianchi, les flics ripoux de la « brigade des condés corses » Fin du film.
Marseille peut respirer : la ville a fait d’une pierre deux coups en mettant hors jeu deux témoins gênants qui en savaient long sur les turpitudes locales : le juge et le truand. Car Zampa ne va pas faire de vieux os. Alors qu’il me­nace de faire des révélations sur l’assassinat du juge, il est retrouvé pendu dans sa cellule en 1984. Et aussi in­croyable que cela puisse paraître, du­rant son séjour de huit mois à la prison des Baumettes, Zampa n’a été entendu par aucun juge d’instruction !
Finalement, suite aux confessions d’une balance, les tueurs à la moto seront arrêtés et condamnés. Ils s’appellent François Checchi et Charles Altiéri. Simples exécuteurs, ils ont toujours nié savoir qui était le commanditaire. Bien que condamnés à perpette, ils ont toutefois aujourd’hui recouvré une liberté conditionnelle : Checchi depuis septembre dernier et Altiéri de­puis octobre…
Alors, s’ils s’ennuient, « Minute » leur donne un conseil : qu’ils aillent au cinéma voir La French. Ils comprendront à qui a profité le crime qu’ils ont commis. 
Pierre Tanger


1. Voir à ce sujet le documentaire « Quand Marseille empoisonnait l’Amérique » qui sera diffusé sur France 3 le lundi 8 décembre à 20 h 45.
2. Voir La Mort du juge Michel,
de Thierry Colombié (éd. La Martinière, 2 014).

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