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Décès d’Hélie de Saint Marc : les braises se sont éteintes

5 juin 1961. Un officier se tient debout face à ses juges. Il va prononcer une phrase. Une simple phrase mais qui résume à elle seule la vie de ce militaire : « On peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier ; on ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de se renier, de se parjurer. » L’honneur. La fidélité. Deux valeurs qui ont guidé, durant quatre-vingt onze ans, le commandant Hélie de Saint Marc qui s’est éteint le 26 août.

La disparition du commandant Denoix de Saint Marc est celle d’un témoin. Un té­moin de tous les tumultes qui ont marqué le vingtième siècle. Hormis le premier conflit mon­dial qu’il n’a pas connu, étant né le 11 février 1922, il a été l’acteur de tous les déchirements du siècle passé.
Il a dix-huit ans lorsqu’il voit les Allemands entrer dans Bordeaux, « ville humide et sombre » où il a grandi. 1940 ou la fin d’un monde : « La société bien établie de ma jeunesse, avec ses institutions, ses notables, son armée la plus puissante du monde, son gouvernement, s’est brutalement effondrée en mai 1940, comme un château de cartes. »
Pour le jeune homme qui aspire à devenir officier, la défaite va prendre les traits du refus. Dès l’été 1941, il est un membre actif du ré­seau de résistance Jade-Amicol. Une résistance qui, contrairement à la légende, compte peu de membres : « Jusqu’à mon arrestation en juillet 1943, j’ai rencontré peu de résistants véritables. Je peux compter sur les doigts de deux mains ceux qui agissaient et prenaient des risques. » 1943, où le seuil de l’enfer.

Miraculé du cortège funèbre de Buchenwald
Le 13 juillet, le jeune homme est arrêté. Le parcours du supplicié commence. La prison. Les interroga­toires. Le transit à Compiègne. La déportation en Allemagne. Et un point d’arrivée qu’aucun hom­me n’aurait jamais voulu con­naître : Buchenwald. « Au-delà du portail de Buchenwald, ma mémoire me blesse comme des éclats de verre. Il m’est physiquement impossible de parler en détail de cette période. Je peux à peine l’évoquer par écrit. Il en sort un cortège funèbre. »
Hélie de Saint Marc, après avoir vu mourir tant de ses compagnons d’infortune, sortira vivant du cauchemar. La volonté de vivre, certes, mais aussi grâce à un ange gardien en la personne d’un mineur letton, « illettré et brutal », qui le prit sous sa protection.
Après sa libération du camp, Hé­lie de Saint Marc rejoint la France. Le spectacle donné par le « résistancialisme » ne le séduit guère : « Je me sentais bizarrement plus proche de l’un de mes beaux-frères, qui s’était en­gagé dans la Milice à contretemps, durant l’été 1944. »
Il intègre l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr. Le soldat porte en­fin un uniforme. Le combat continue. Il intègre la Légion étrangère en 1947. Il ne la quittera pas pendant quinze ans : « La Légion étrangère fut la grande affaire de ma vie. A la sortie de Saint-Cyr, j’ai été attiré par elle comme par un aimant. »
1948. Le jeune officier arrive en Indochine. Un monde féérique l’attend. Les arbres touffus. Les nuages tropicaux. Les femmes racées. Les rizières à perte de vue. Mais l’Indochine est également le nom d’une guerre. Une guerre qui tue autant qu’elle marque. La RC 4. Cao Bang. Les embuscades. Les combats dans la jungle. Les légionnaires qui tombent. Mais surtout la fraternité avec les partisans thaïs au contact desquels l’officier vit durant des mois.
Des partisans qu’il devra, sur ordre, abandonner lorsque l’armée française évacuera l’Indochine. Ja­mais il n’oubliera les partisans s’accrochant aux ridelles des camions et sur les doigts desquels frappaient la crosse des fusils pour qu’ils les lâchent.

Trahi par les gaullistes, réhabilité par Sarkozy
Ce spectacle indigne, le commandant de Saint Marc s’est juré de ne plus jamais l’accepter. Après les senteurs de l’Indochine, voici celles de l’Algérie. Autre culture. Autre civilisation. Mais la magie agit toujours. Les dunes. Le soleil écrasant. L’oued asséché. Et les populations locales. Différentes, naturellement, mais aussi attachantes. Comme en Indochine, l’officier entend la France leur dire : « Faites-nous confiance, nous ne vous abandonnerons jamais ».
Hélie de Saint Marc va croire ceux qui parlent au nom de la France. Notamment De Gaulle qui re­vient aux affaires au lendemain du 13 mai 1958. Les harkis ont remplacé les partisans thaïs. La cinquième république a succédé à la quatrième. Mais la même politique d’a­bandon se poursuit.
Lorsqu’il comprend que Paris refait le coup de l’Indochine et que les musulmans fidèles à la France vont être sacrifiés, l’officier du 1er régiment étranger de parachutistes dit non.
Le 22 avril 1961, il est un des acteurs du putsch. Baroud d’honneur. Il est trop tard. L’officier se rend. Il entend ses légionnaires qui chantent : « Non, rien de rien, je ne regrette rien. »
La suite est celle de tant d’officiers trahis. La prison. L’arrogance d’une justice sourde qui ne veut rien entendre. Et la condamnation à dix ans de réclusion criminelle. Une condamnation aux allures de décoration. A l’image de celle qu’il recevra le 28 novembre 2011 du président Sarkozy, qui le fera Grand Croix de la Légion d’honneur. Il avait 89 ans.
Il n’est jamais trop tard pour réhabiliter les héros. 
Thierry Normand

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