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Entretien avec Lionel Baland « Je crois que Jörg Haider a été assassiné »

Lionel Baland, spécialiste des partis populistes en Europe, publie aux éditions des Cimes un ouvrage consacré à Jörg Haider. Il y remet en cause la version officielle de la mort du leader de la droite patriotique autrichienne. Nous l’avons rencontré.

Minute : Pourquoi avoir choisi de réaliser un ouvrage sur Jörg Haider ?
Lionel Baland : Jörg Haider est une personnalité extraordinaire qui a profondément modifié le paysage politique de son pays. Homme de com­munication, il a un peu été le Mo­zart de la politique autrichienne. Il a également transformé son bastion de Carinthie – dont il fut longtemps gouverneur – en laboratoire de ses idées et en vitrine de ses réalisations.
Quelques mois après son décès, ren­contrant d’anciennes proches col­laboratrices de Jörg Haider, j’ai décidé de réaliser un ouvrage sur le su­jet, à partir de sources essentiellement allemandes, afin de faire con­naître au public francophone l’histoire et les réalisations de cette su­perstar de la politique, tout en l’inscrivant dans le contexte historique de sa famille de pensée.

Quel a été le parcours de Jörg Haider ?
En 1986, lorsqu’il prend le contrôle du parti libéral FPÖ, cette formation politique est au bord de l’effondrement. Jörg Haider, en en­chaînant une série de victoires, permet au FPÖ de devenir, lors des élections législatives de 1999, le deuxième parti du pays avec 26,9 % des voix. Au début de l’année 2000, un gouvernement réunissant le FPÖ et la troisième formation du pays, le parti conservateur ÖVP, voit le jour. Alors que Jörg Haider de­vrait logiquement assumer la fonction de chancelier, il est con­traint, sous la forte pression internationale, de

céder la place au dirigeant de l’ÖVP Wolfgang Schuessel. Mais il n’empêche : durant sept années, les patriotes autrichiens par­ticipent à la gestion gouvernementale.

Jörg Haider semble avoir préfiguré l’essor des populismes européens, le plus souvent libéraux et conservateurs…
Oui, le FPÖ est un parti libéral qui a été membre de l’Internationale libérale. La révolution allemande de 1848, prolongement des événements qui ont lieu en France à la même époque, se déroule à Francfort-sur-le-Main.
Les libéraux, qui représentent à l’époque une force politique progressiste, désirent un accroissement et un renforcement des libertés in­dividuelles (liberté de presse, d’association, de réunion, mais également la mise en place de mesures so­ciales. Ils sont également anticléricaux, c’est-à-dire opposés à l’intervention de l’Eglise dans les af­faires de l’Etat. Si ces idées sont celles des libéraux au sein des différents pays d’Europe, en Allemagne ceux-ci désirent également réaliser l’u­nité du peuple allemand. Si, en Autriche, la tendance nationaliste grande-allemande reste puissante au sein du FPÖ, en Allemagne, elle a quasiment disparu au sein du par­ti libéral-démocrate, le FDP.
L’histoire étant ce qu’elle est, comment expliquer le succès de Jörg Haider ?
Il faut examiner les raisons liées à un contexte politique favorable ; et les capacités exceptionnelles de Jörg Haider pour en tirer profit. Au cours des années 1970, les deux par­tis du système, socialiste et so­cial-chrétien, récoltent ensemble 90 % des voix. L’Autriche est à cette époque un petit pays tranquille pro­tégé par le rideau de fer et au sein duquel les entreprises fournissent des emplois stables aux ci­toyens. L’ouverture des frontières chan­ge progressivement la donne. Le phénomène s’accélère avec le dé­mantèlement du rideau de fer et l’effondrement des régimes commu­nistes d’Europe de l’Est, ainsi qu’avec les guerres de démembrement de la Yougoslavie. L’Autriche se retrouve au début des années 1990 face à une délinquance massive. De plus, soumise à la mondialisation, l’économie autrichienne of­fre des emplois et situations économiques de plus en plus précaires. Jörg Haider surfe sur ces changements sociologiques afin de porter des coups au système en place et de récolter les voix.

C’est là qu’interviennent ses « capacités exceptionnelles » ?
Absolument ! C’est une personne extrêmement innovante qui met au point toute une série de stratégies et de méthodes qu’emploient encore son successeur à la tête du FPÖ… et les leaders populistes eu­ropéens. Sur le plan tactique, Haider a compris l’importance cruciale de l’enracinement. C’est tout sauf un homme de coups. Lorsqu’il n’est pas actif à l’échelle du pays, il travaille le terrain dans son bastion. Il a donc à tout moment une possibili­té de repli, en même temps qu’une base électorale solide qui le propulse sur la scène nationale.
Il a aussi compris l’importance d’une bonne communication…
Jörg Haider développe l’image d’un gagnant, jeune, bronzé, sportif. Il se déplace dans des voitures de sport et dispose d’une impressionnante garde-robe. En Carinthie, tout le monde l’appelle Jörg et le tu­toie, tout comme il tutoie tout le mon­­de. Au sein d’un paysage politi­que sclérosé, ses concurrents font pâle figure à côté de lui. Jörg Haider passe son temps à briser des tabous politiques. Il devient une sorte de Ro­bin des Bois qui défend le peuple face aux abus des puissants. Il dénonce le partage de l’appareil d’Etat entre les deux partis du système et la distribution de prében­des aux affidés de ces formations po­litiques et de leurs organisations annexes. Il surfe sur le rejet de l’immigration et de l’insécurité. Il dit tout haut ce que beaucoup de person­nes pensent tout bas.

Comment expliquer la soudaine chute de Haider, au milieu des années 2000 ?
N’ayant pu être chancelier d’Au­triche, il décide de couper les ponts avec l’aile dure du parti et crée, en 2005, le BZÖ, Mouvement pour l’a­venir de l’Autriche. Au sein du gou­vernement, le BZÖ remplace le FPÖ. Ce dernier, repris en main par Heinz-Christian Strache, se retrouve dans l’opposition.

Ce fut une erreur car Haider a cassé une belle dynamique…
Oui. Lors des élections législatives d’octobre 2006, le BZÖ sauve les meubles en obtenant tout juste les 4 % nécessaires pour siéger au Parlement. Le FPÖ est à 11 %. Un gouvernement réunissant les so­ciaux-dé­mocrates et les conservateurs voit le jour. Cependant, des élections anticipées ont lieu en septembre 2008. Le BZÖ décroche plus de 10 % des voix et le FPÖ 17,54 %. Jörg Haider déclare : « Je crois qu’a­près celle de Lazare, ma résurrection est la plus éclatante de l’histoire ! » Les liens sont renoués et la formation d’un gouvernement réunissant les deux partis patriotiques et le Par­ti conservateur est envisagée. Mais le 11 oc­tobre 2008 au matin, la nouvelle tom­­be : Jörg Haider est décédé dans un accident de voiture.

En France, on imagine mal la portée de l’événement…
Parce que les Français font naturellement un parallèle avec le Front national diabolisé. Mais en Autri­che, ce n’est pas pareil. Des milliers de personnes déposent des bougies dans le centre de Klagenfurt, la ca­pitale de la Carinthie dont Hai­der est le gouverneur. Le gotha de la po­litique autrichienne, parmi le­quel le président de la République autrichienne et le chancelier, participent à la cérémonie funèbre en présence de plus de 30 000 person­nes – ce qui, pour un pays de seulement 8 millions d’habitants, est très important !

Vous remettez en cause la version officielle du décès de Jörg Haider. N’êtes-vous pas un peu conspirationniste ?
Non. Je ne suis pas du tout cons­pirationniste. Lors de la réalisation de mon livre, j’ai utilisé essentiellement des sources en allemand, ce qui m’a permis d’écarter les élucubrations d’une partie de la presse francophone sur le sujet. Au dé­part, j’ai complètement cru en la version officielle de l’accident et aux articles de presse prétendant à la bisexualité de Jörg Haider.
Mais au fil des lectures, des vi­sites et des rencontres, j’ai découvert que la version établie ne tient pas la route. J’explique pourquoi au sein du livre, documents à l’appui. Haider vivait une véritable ré­surrection politique. Il est étrange qu’il ait pris le risque de se faire voir dans un établissement gay… Et apparemment, il ne s’y est pas ren­du. En outre, lui qui ne buvait ja­mais une goutte d’alcool, n’aurait sans doute pas pris le risque de prendre le volant en état d’ivresse, car il savait qu’un malheureux con­trôle routier avait ainsi coûté sa carrière à un célèbre politique autrichien. L’autopsie a révélé des con­clusions troublantes sur la présence d’alcool dans le sang et les urines de Haider, dont la presse n’a pas te­nu compte. La nature de l’accident ne correspond pas aux dégâts cons­tatés sur la voiture. L’enquête sem­ble avoir été bâclée… De plus, je ne suis pas le seul à penser cela. Le cé­lèbre journaliste Gerhard Wisnew­ski, qui réalise des documentaires pour les plus grandes chaînes allemandes, a enquêté durant des mois sur le sujet et arrive à la conclusion qu’il y a 90 % de probabilités que Jörg Haider ait été assassiné.

Pourquoi s’en prendre à lui ?
Je ne connais pas encore les cau­ses de cet éventuel assassinat, mais je sais que le retour de Haider sur le devant de la scène gênait beaucoup de monde. Permettez-moi enfin de rappeler qu’il n’est pas incongru d’envisager l’assassinat d’un leader populiste. Après tout, le Français François Duprat est-il, oui ou non, mort dans un attentat à la bom­be ? Jean-Marie Le Pen a-t-il, oui ou non, échappé à un attentat qui a fait exploser tout son im­meuble ? A-t-on, oui ou non, mis le feu à la maison du Suisse Oskar Freysinger ? Le néerlandais Pim For­tyuin a-t-il, oui ou non, été as­sassiné ? Alors pourquoi pas un Hai­der à nouveau en plein essor ?    n

Entretien réalisé par Patrick Cousteau


Pour en savoir plus
Jörg Haider, le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche, éd. des Cimes, 192 p., cahier de 16 pages de photos en couleurs, 19 euros.
Disponible sur le site Internet http://editions-cimes.fr/ou par chèque de 22,50 euros (dont 3,50 euros de frais de livraison) à l’ordre de EDC/ASMA, BP 80 308, 75 723 Paris Cedex 15.

 

Informations supplémentaires

  • Publié dans le numéro : 2581

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