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Entretien avec Lajos Marton

Lajos Marton est un officier hongrois qui a participé à l’attentat du Petit-Clamart, qui manqua de peu, le 22 août 1962, d’éliminer le général De Gaulle. Ses mémoires, éditées en 2002 sous le titre Il faut tuer De Gaulle viennent d’être rééditées en version augmentée, avec de nombreuses révélations exclusives.

Minute : La composition du commando du Petit-Clamart étonne : sur 12 membres, 3 étaient Hongrois. Qu’êtes-vous donc venus faire dans cette « galère » ?
Lajos Marton : Nous étions des réfugiés de la révolution anti-communiste hongroise d’octo­bre 1956, écrasée par l’armée Rouge. Pour ma part, j’étais à l’Etat-major de l’armée de l’air hongroise et j’avais, dès 1955, commencé à lutter con­tre la domination soviétique en livrant des in­formations ultrasecrètes à l’OTAN. Je suis ve­nu en France car le quartier général de l’OTAN se situait à Paris.
J’ai pris part en mai 1958 à l’opération « Ré­surrection » qui a porté De Gaulle au pouvoir. Hélas, De Gaulle a trompé le pays et trahi ses promesses les plus solennelles en livrant finalement l’Algérie aux pires tueurs du FLN. J’étais révolté par le sort tragique des pieds-noirs, chassés de chez eux comme nous, Hongrois, l’avions été, et par l’abandon des harkis qui avaient servi la France.

La France vous a accueillis en tant que réfugiés, et vous avez voulu assassiner son chef de l’Etat… Avouez que ce n’est pas commun !
Nous avons toujours agi sous les ordres de militaires français, qui représentaient à nos yeux la légalité et « la plus grande France », pour reprendre les mots du général Weygand. Nous aurions pu mener des vies paisibles dans une France alors prospère. Au lieu de cela, nous avons risqué notre vie par amour de ce grand pays !

Quels souvenirs gardez-vous de l’ambiance qui régnait en France durant cette période ?
La France bouillonnait et nous avons regardé avec espoir les tentatives de renouveau de l’armée en 1958. Par la suite, ce sont les éléments les plus sains et dynamiques de la France qui ont réagi à la politique gaulliste, pour finir liquidés par la « droite gaulliste » comme la gauche n’aurait jamais pu le faire. Quant au Français moyen, ce « veau » comme disait De Gaulle, je crois qu’il avait surtout hâte que cette guerre se termine.

Quel était le plan de l’attentat du Petit-Clamart ?
J’ai intégré le commando Charlotte Corday en mars 1962, qui avait pour mission de mitrailler le convoi présidentiel entre l’Elysée et l’aéroport de Villacoublay, d’où De Gaulle rentrait de Colombey. Nous disposions notamment d’une Estafette Renault puissamment armée qui devait arrêter la DS présidentielle. En amont, à 300 mètres, Bastien-Thiry faisait le guet et devait nous donner le signal de l’arrivée du convoi en ouvrant un journal. Une fois le convoi bloqué, je devais, avec Bernier, foncer vers les deux voitures, neutraliser les « super-barbouzes » et dynamiter la voi­ture de De Gaulle.

Mais cela ne s’est pas passé ainsi…
Le conseil des ministres, consacré à la lutte contre l’OAS (cela ne s’invente pas !), s’éternisa jusqu’à presque 20 heures. Il n’y avait à l’époque pas d’heure d’été, et il y avait une visibilité de plus en plus réduite, avec une fine pluie commençant à tomber. A cause de cela, nous n’avons pas vu le signal de Bastien-Thiry. Le convoi a été aperçu par Varga, chauffeur de notre estafette, qui, lassé d’attendre était sorti du véhicule faire pipi ! A la vue du convoi, il poussa des hurlements (en hongrois !) et nous fîmes immédiatement feu. Mais le convoi était déjà proche et roulait à vive allure.
Au lieu de tirer en ligne droite nous eûmes à tirer sur une cible mobile, ce qui ne nous empêcha pas de toucher plusieurs fois la DS (j’ai no­tamment crevé le pneu arrière droit) mais ne nous permit pas de l’arrêter. Une balle passa à quelques centimètres de la tête de De Gaulle, qui reconnut que « cette fois c’était tangent ».

De Gaulle était systématiquement accompagné de son épouse. Cela ne vous posait pas de problème de conscience ?
C’est à lui qu’incombait cette épouvantable responsabilité, alors qu’il savait sa vie menacée !

Comment expliquez-vous l’échec de l’attentat ?
Notamment par un manque chronique de moyens : nous ne disposions que d’armes de ré­cupération et de véhicules peu puissants, qui ne nous ont pas permis de prendre en chasse le con­voi.

Vos avocats, puis ultérieurement la fille de Bastien-Thiry, ont affirmé que le but réel de l’attentat n’était pas de tuer De Gaulle mais de l’enlever.
C’est ridicule ! Le nom de l’opération (Charlotte Corday, qui a assassiné Marat) apporte à lui seul la réponse. De surcroît, l’attentat n’a échoué que pour des détails, et il est insensé de croire que Bastien-Thiry aurait fait courir de tels risques à autant d’hommes pour saboter l’opération. Il n’a eu aucune hésitation au moment de donner le signal de tir, je me souviens encore l’entendre dire « Si seulement ce c… de Bernier avait vu le signal ! »

Si l’attentat avait réussi, que se serait-il passé ?
L’élimination physique de De Gaulle était le préalable à toute prise de pouvoir à Paris : l’article 16 mis en vigueur, l’armée devait prendre le pouvoir. Le gouvernement aurait été constitué de généraux connus pour défendre les intérêts su­périeurs de la France, de personnalités nationa­les (comme Jacques Soustelle, le Bachaga Boualem ou Jacques Perret) et d’experts indépen­dants. Il était aussi prévu de constituer des tribunaux militaires pour arrêter et condamner les gaullistes et les communistes.

Les commanditaires réels de l’attentat du Petit-Clamart sont mal identifiés. Dans votre livre, vous dites avoir été engagé par un certain général E. D…
Je n’ai pas le droit de révéler le nom de ce général qui vit toujours. Il connaît l’organigramme de l’Etat-major mixte qui a conçu le plan de l’opération « Résurrection 2 ». Après sa mort, le pays connaîtra toute cette histoire.

On peut imaginer qu’après l’échec de l’attentat, cela a été le sauve-qui-peut ?
Pensez-vous ! Dès le débriefing, Bastien-Thiry avait un nouvel attentat en tête : nous pouvions obtenir une maison à Villacoublay depuis la­quelle nous abattrions l’avion de De Gaulle au dé­collage. Il fallait pour cela se procurer une mi­trailleuse lourde 12,7 mm, ce que je suis parvenu à faire. Mais entre-temps, Bastien-Thiry et la plupart des membres du commando ont été arrêtés.

Et vous ?
Refusant de fuir le pays, je suis parvenu à vivre en clandestinité pendant plus d’un an. J’ai été arrêté en septembre 1963, et, condamné à mort par contumace, j’ai eu droit à un second pro­cès où j’ai pris 20 ans. J’ai finalement été gracié puis amnistié en 1968, avec tous les autres, lorsque De Gaulle a senti son régime vaciller de­vant les gauchistes de mai.
Vous reconnaissez vous-même que vous doutiez de l’intégration des Algériens à la France. Dès lors, quel projet aurait pu être opposé à la politique d’abandon de De Gaulle ?
Il fallait donner aux Algériens un statut particulier leur permettant de vivre en bonne entente avec les pieds-noirs, sans pour autant faciliter leur arrivée massive en métropole. Mais l’autre question, c’est : fallait-il tout lâcher – pieds-noirs, harkis, respect de la parole donnée, pétrole d’un Sahara qui n’avait jamais été « algérien » – pour confier l’Algérie aux pires tueurs du FLN plutôt qu’à des modérés ?

Finalement, 50 ans après l’attentat, regrettez-vous quelque chose ?
Je ne peux que répéter ce que j’ai répondu au général Gardet, président de la cour militaire de Justice à sa dernière question pendant mon procès : « Je regrette que l’opération n’ait pas réussi ».  

Propos recueillis par Philippe Derricks


Ma vie pour la Patrie ! postface de Jean-François Collin (président de l’ADIMAD), éditions Les Amis du Livre européen, 25 euros frais de port inclus.
A commander 1 place Paul Verlaine, 92 100 Boulogne-Billancourt ; ou en ligne www.lesamisdulivreeuropeen.eu

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