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Dans le cyclisme, si tout est combine, tout est panache

Olivier Dazat, scénariste de nombreux films, dont Astérix aux Jeux olympiques (2008) et Le Vélo de Ghislain Lambert (2001), avec Benoît Poelvoorde, est également un grand spécialiste du cyclisme auquel il a consacré plusieurs livres, comme Panache (Le Dilettante, 1991) ou L’Honneur des champions (Hoëbeke, 2000).

Minute : Comment analysez-vous la tournure que prend l’affaire Armstrong qui est menacé d’être déchu de ses sept victoires du Tour de France pour dopage ?
Olivier Dazat : Le dopage est consubstantiel à l’histoire du sport cycliste. Les premières courses ont été organisées sur le modèle hippique, qui est un modèle mafieux assis sur des paris et sur le dopage des chevaux. Mais, dans le cyclisme, si tout est combine, tout est panache : Apollon côtoie Dionysos. Le cyclisme dégage des émotions infantiles. Il existe un lien étrange entre noblesse et méphitisme.
Le cyclisme fut un sport de pion­niers. Jusqu’en 1931, Henri Desgrange, cycliste, puis journaliste et premier directeur du Tour de France depuis sa création en 1903, remboursait les produits dopants aux coureurs. Un jour, Jacques Anquetil, quintuple vainqueur du Tour de France, et l’Italien Ercole Baldini, qui fut champion du monde sur route et champion olympique, décidèrent de courir à l’eau. Leur conclusion fut sans appel : « L’eau est pire que le dopage. » Ils sont arrivés tellement fatigués, tellement la­minés, qu’ils se sont promis de ne plus jamais courir sans produit tant leur souffrance avait été pire que les effets secondaires du do­page.
La morale du cyclisme n’est pas celle de la société civile.

En 1998, le scandale a éclaté : on a dénoncé le dopage organisé à l’aide de nouveaux produits comme l’EPO. C’est devenu de plus en plus ma­fieux et la police s’en est mêlée. Cela a provoqué une révolution cul­turelle inédite : 15 à 20 % du pe­loton ne se dopaient plus et on doit atteindre environ 50 % aujourd’hui : c’est un miracle.

Est-ce à la figure même du héros cycliste que l’on s’en prend actuellement ?
Il y a eu le désir d’éradiquer la supériorité, les valeurs de l’Ancien Régime qui pouvaient sacrer le « roi » Merckx. Le peloton, c’était « l’autorité en haut et les libertés en bas ». Mais de nos jours, la supériorité devient embarrassante. Les grands grimpeurs, tel l’Espagnol Federico Bahamontès, surnommé « l’aigle de Tolède », vainqueur du Tour 1959, ont disparu : ils incarnaient la spiritualité du sport cycliste, la grâce et la légèreté. Ces êtres hors normes ont été détruits. Le cyclisme est devenu rationaliste, au nom de la lutte contre le dopage et contre la circulation d’argent sale mais aussi au nom de la lutte contre l’être supérieur, contre la division féodale du peloton entre le roi, ses vassaux et le peuple.
Le génie d’Armstrong, c’est de n’avoir jamais nié s’être dopé, d’avoir juste souligné ne s’être pas fait prendre. Les coureurs cyclistes, comme les rugbymen, portent les valeurs de leur nation. Jusque dans les années 1970, « L’Equipe » parlait des « valeurs de la race » (au sens de nationalité) à propos des coureurs espagnols, italiens ou français.
On protège aujourd’hui les athlètes, les tennismen et les footballeurs mais on s’en prend aux cy­clistes. En athlétisme, l’aspect physique même des coureurs jamaïcains ou américains du 100 mètres montre qu’ils sont littéralement do­pés. Le vrai record du 100 mè­tres, c’est 9’ 92, c’est Christophe Lemaître.

Le fait que le dopage soit devenu central dans le cyclisme a-t-il de graves conséquences sur l’engouement des Français pour ce sport, notamment chez les jeunes ?
Curieusement, non. Il y a toujours autant de monde au bord des routes pour le Tour de France. Les organisateurs du Tour ont favorisé, protégé les Français, jusqu’au mi­lieu des années 1980. Le paradoxe, c’est que le dopage protège les cou­­reurs plus que l’eau. Le sport est criminogène et relève de va­leurs archaïques.

L’époque des Anquetil, Poulidor, Hinault, Fignon est-elle définitivement révolue ? Le cyclisme a-t-il rejoint le cimetière où gisent tant de nos mythologies françaises ?
S’il y a moins de Français dans les premiers, c’est avant tout la con­séquence de l’internationalisation de ce sport, avec les succès des Américains, qui sont là pour gagner, ou des coureurs venus de l’Est, qui ont aussi une culture de « tueurs ». Les Français ont joué l’honnêteté sur le dopage après 1998, alors qu’en Espagne, le laxisme règne.
Et puis, il y a le problème des vé­los truqués dans les quinze dernières années pour pallier la diminution du dopage. Le scandale va bientôt éclater.
La tricherie et la combine sont in­trinsèques au cyclisme mais cô­toient ce qu’il y a de plus beau en l’homme : la transcendance, le courage.
Propos recueillis par Jacques Cognerais

 

Informations supplémentaires

  • Publié dans le numéro : 2578
  • Auteur : Jacques Cognerais

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