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« Valls va-t-il nous laisser crever comme des chiens galeux ? »

Pour respecter le devoir de réserve des fonctionnaires, et par mesure de sécurité, nous l’appellerons S. C’est l’un des trois policiers dont les témoignages ont permis à la justice de poursuivre les ripoux de la BAC Nord. Il dénonce aujourd’hui les errements de sa hiérarchie.

Minute : Qu’est-ce qui vous a poussé à dénoncer les dérives de certains policiers de la BAC Nord de Marseille ?

S. : En 2009, comme je refusais de marcher dans certaines combines, j’ai été mis sur la touche. J’ai alors décidé de vider mon sac. Attention, je n’ai pas balancé aux médias ! J’ai simplement alerté ma hiérarchie. Au printemps 2010, j’ai été entendu par le cabinet d’audit et de discipline, sous contrôle de la DDSP [la direction départementale de la sécurité publique, ndlr]. J’ai dénoncé les agissements de certains policiers de la BAC qui profitaient de l’interpellation de petits trafiquants pour voler les marchan­dises saisies. Du cannabis, des cartouches de cigarettes, de l’argent sale…

Votre hiérarchie a donc été informée. A-t-elle donné suite ?

Ça a fait pschitt ! On m’a pourtant assuré que ma déposition avait été transmise à Pascal Lalle, alors directeur de la DDSP. Il ne m’a jamais reçu. Et au­jourd’hui, il affirme qu’il n’aurait pas eu vent des trafics que je dénonçais ? Il faut arrêter ! Le capitaine qui m’a interrogé était son voisin de bureau. Pascal Lalle ne pouvait pas ne pas savoir. La vérité, c’est qu’il était plus facile de couper la tête à un petit flicard comme moi, plutôt que de remuer la m… J’ai alors été placardisé. Et au sein de la BAC, pour étouffer l’affaire, on a fait un peu de ménage. Certaines brebis galeuses ont discrètement été mu­tées, avec des promotions à la clef ! Le tout, il faut le souligner, avec la complicité du syndicat auquel ap­partenaient ces policiers ripoux.

Sur le site du journal « Le Point », ouvrant prudemment le parapluie, Pascal Lalle a déclaré que vos accusations n’étaient pas crédibles, que durant votre carrière vous aviez accumulé les fautes graves. Que lui répondez-vous ?

Mes accusations ne sont pas crédibles ? Dans cet­te affaire, il y a aujourd’hui 15 mis en examen et 30 policiers de la BAC suspendus ! Que faut-il de plus à monsieur Lalle pour que je devienne crédi­ble ? Et j’aurais accumulé les fautes graves ? J’ai effectivement commis certaines fautes, je les ai reconnues. Il m’est arrivé de prendre quelques libertés avec le règlement, d’être coulant avec des indics. Mais à la BAC, c’est comme ça que l’on m’a appris à fonctionner, relâcher le menu fretin pour ensuite ferrer plus gros. Et je n’ai pas de leçon de déontologie à recevoir. Je vais vous en raconter une bonne. En août 2011, la France a découvert que, durant un an, porte d’Aix à l’entrée de Marseille, un parking municipal avait été contrôlé par de jeunes trafiquants. Or il faut savoir que la consigne avait été donnée aux hommes de la BAC de ne pas déranger les jeunes dans leur business ! On estimait en haut lieu que le racket des automobilistes était un moindre mal.

Manuel Valls suit très attentivement ce dossier sulfureux. Aujourd’hui, qu’attendez-vous du ministre de l’Intérieur ?

Quand Manuel Valls est venu le vendredi 12 oc­to­bre à Marseille, lors de sa conférence de presse, il s’est demandé pourquoi, si tout le monde savait, le scandale de la BAC n’éclatait seulement qu’aujourd’hui… Mais, monsieur le ministre, moi-même et plusieurs collègues avons dénoncé ces faits il y a déjà trois ans ! Résultat, on a été placardisés. Ça veut dire qu’on nous a rejetés au bas de l’échelle. Affectation dans un commissariat de quartier. Alors, monsieur Valls, que comptez-vous faire pour nous, brigadiers de police qui avons osé briser la loi du silence ? Nous réhabiliter ou nous laisser crever comme des chiens galeux ?   
Propos recueillis par Pierre Tanger

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  • Publié dans le numéro : 2586
  • Auteur : Pierre Tanger

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