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« Je ne suis pas favorable à l’envoi de l’armée dans les banlieues… du moins pas encore »

Maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) depuis dix ans, Xavier Lemoine a une longue habitude des violences urbaines et des crises de banlieues. Il réagit à l’appel de Samia Ghali, le sénateur PS qui réclame l’intervention de l’armée à Marseille.

 

Minute : Comment interprétez-vous l’appel de Samia Ghali à faire intervenir l’armée dans les zones de non-droit de Marseille ?

Xavier Lemoine : C’est l’appel au secours d’une élue qui ne sait plus à quel saint se vouer. Je crois que l’appel à l’armée est une manière de ré­clamer la fin du « service après-vente ». Je m’explique : là où la police doit ar­rêter des malfrats et les livrer à la jus­tice, qui décide ensuite des peines à infliger, l’armée a simplement une mission à remplir et ne dépend que de l’exécutif.

N’est-ce pas aussi le signe qu’il faudrait revoir la proportionnalité de la riposte policière ? Autrement dit, avec des flashballs contre des fusils d’assaut, les policiers chargés de protéger la population ne sont-ils pas réduits à une impuissance qui n’échappe plus à personne ?

Je crois que hausser la proportionnalité de la riposte pourrait con­duire à une dangereuse escalade. Si les policiers répondent aux fusils d’as­saut avec d’autres fusils d’assaut, les bandits utiliseront ensuite des lan­ce-roquette, généraliseront leur ar­mement lourd et auront toujours un cran d’avance grâce au trafic d’ar­mes.

Vous qui avez une grande expérience des crises de banlieues, seriez-vous favorable à l’intervention de l’armée ?

Je n’y suis pas favorable… du moins pas encore, dans la mesure où toutes les solutions n’ont pas été mises en œuvre du côté des forces de police et de la justice. Je crois qu’en l’état actuel des choses, ce se­rait une solution trop facile pour masquer nos insuffisances, nos incohérences et nos lâchetés à ce sujet. In fine, nous devrons peut-être nous y résoudre, mais ce n’est pas encore le moment.

En attendant, comment rétablir l’ordre et décourager l’économie informelle, qui rapporte beaucoup plus que le travail honnête ?

La question est délicate, car dans le trafic de drogues, il y a peu de trafiquants et beaucoup de bénéficiai­res.
Passé un certain seuil de bénéficiai­res, une omerta s’installe et il de­vient difficile d’agir… car les pouvoirs publics seraient accusés de dé­s­tabiliser une économie qui repose entièrement là-dessus.

Ce que vous dites est terrible…

Oui, mais c’est la vérité. Quand la police fait trop bien son travail, les pe­tits délinquants et les mamas receleuses ne sont plus payés. Les loyers ne sont plus réglés, les vols à l’étalage se multiplient et les bailleurs ou commerçants se plaignent. Je ne dis pas qu’il ne faut rien faire, mais il con­vient d’agir avec prudence, par pa­liers progressifs, pour assainir le tissu social.
Si en revanche, le tissu social est en­core sain, la fermeté peut payer, car les habitants osent notamment don­ner du renseignement opération­nel, ce qui permet d’éradiquer les trafics en coupant le criminel de la population. C’était heureusement le cas à Montfermeil. Pour être franc, je ne sais pas si cela sera possible à Marseille.


Propos recueillis par Patrick Cousteau

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  • Publié dans le numéro : 2579
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