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Que de la gueule !

Encore une fois, le gouvernement a reculé. Les traditions ne se perdent pas toutes, la preuve : celle, si française, de la capitulation devant la rue, est toujours vivace. D’Alain Juppé modèle 1995 à François Hollande version 2016 – pour s’en tenir aux plus piteux replis de la période la plus récente –, droit sans ses bottes et le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges (« Je suis droit dans mes bottes et je crois en la France », avait dit Juppé), on se couche ! Dans notre beau pays, qui se permet encore de donner des leçons de démocratie au monde entier, la légitimité acquise par les urnes est temporaire, celle conquise par la rue est éternelle.

Et cette fois, le retrait en rase campagne a été prestement mené. Un modèle du genre, à enseigner dans toutes les écoles militaires. Mercredi 9 mars : 200 000 personnes dans les rues. Lundi 14 mars : présentation du « nouveau » projet de loi pour un « nouveau départ ». Cinq jours pour plier l’affaire, record battu ! Le tout asséné sans rires ni pleurs par le premier ministre, sans que, à l’heure où nous écrivons ces lignes (lundi, 18 heures), on n’ait à déplorer la moindre victime, ni parmi les manifestants bien sûr, mais ni même parmi les membres du gouvernement, qui estimaient hier que la loi dite El Khomri était vitale pour l’économie française, indispensable pour réduire le chômage, etc.
La capitulation touche au sublime par son déroulé.
Acte I : selon une méthode qui a fait ses preuves, le pouvoir fait fuiter son avant-projet de loi sur le travail dans le but de peser le poids des oppositions et de déterminer les abcès de fixation, tout en faisant porter le poids du texte sur les épaules un peu frêles de My­riam El Khomri, apprenti ministre du Travail, alors que le texte a été relu, corrigé, amendé et renforcé par l’Elysée.
Acte II : tout ce que la gauche comp­te encore de militants de gauche se mobilise, vitupère, pétitionne (plus, pa­raît-il, qu’à l’ordinaire), descend dans la rue (beaucoup moins qu’à l’ordinaire), mobilise les jeunes (pas en masse non plus) et menace, ce qui est le plus embêtant, de faire imploser le PS.
Acte III : le premier ministre annon­ce que tout bien réfléchi, et en tenant comp­te des aimables remarques des uns et des autres, un meilleur texte (con­cocté encore une fois à l’Elysée) a été élaboré, dans lequel il ne reste en fait rien de ce qui faisait l’intérêt de l’avant-projet de loi. Et comme à l’ordinaire – c’est fou comme la vie politi­que française est pauvre en surprises –, les syndicats dits réformistes se réjouissent tandis que les autres, CGT en tête, exigent encore le retrait du texte.
Voilà des décennies que la France est ainsi gouvernée, il n’y a pas de raison pour que ça change – surtout, pense très fort l’homme de droite au­teur de ces lignes, si on doit se taper Juppé la prochaine fois.
Face à un tel degré de lâcheté, la question n’est même plus de savoir si le projet de loi El Khomri, dans sa première mouture, était bon ou pas. Ni s’il répondait à des demandes du « grand patronat » ou pas. Ni s’il pouvait permettre la création d’emplois ou pas. Ni s’il avait pour objet de conformer la France à des exigences de la Commission européenne ou pas.
A « Minute », nous pensons que, quelles que soient les arrière-pensées qui avaient pu prévaloir dans la rédaction de ce texte, qui était en effet étrangement en phase avec les recommandations du Conseil européen en date du 14 juillet 2015 « concernant le programme national de réforme de la France », on ne pourra pas relancer durablement l’activité sans qu’il soit procédé à une profonde réforme du Code du travail, afin qu’il devienne, entre autres, aisé de licencier – pour qu’il devienne tout aussi facile d’embaucher.
Au lieu de cela, François Hollande et Manuel Valls se sont aplatis devant des syndicats dont on commence à savoir qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes, apeurés par une colère dont ils ne pouvaient pas ignorer qu’elle était inscrite dans le texte initial, et terrifiés à l’idée que la mobilisation étudiante et lycéenne s’amplifie et n’entraîne le pays dans une contestation printanière à l’issue imprévisible.
J’ai essayé de réformer, mais je n’ai pas pu, écrira Hollande dans ses mé­moires, après Fillon, après Juppé, après Chirac, etc.
Ils n’ont pas réformé parce qu’ils n’ont pas voulu. Point. Parce qu’ils n’ont pas eu les coucougnettes – et on reste polis – d’affronter le ban et l’arrière-ban des conservateurs d’une gauche française désespérante d’immobilisme.
Quand Hollande a voulu faire adop­ter le « mariage pour tous », il l’a fait. Malgré des millions de manifestants durant deux années. Malgré une pétition qui n’avait rien à envier à celle lancée par Caroline De Haas, puis­qu’elle fut arrêtée au seuil qu’exigeait, en théorie, le Conseil économique, social et environnemental.
En France, plus que jamais, en ma­tière sociale, ce n’est pas le Parlement qui légifère, ce n’est pas l’exécutif qui décide, ce n’est pas la Commission eu­ropéenne qui impose ses diktats, ce n’est pas le patronat qui fait sa loi, ce sont les syndicats qui gouvernent – tout en étant, dans le même temps, incapables de défendre correctement leurs syndiqués. Le reste est littérature. Le reste, le discours des hommes politiques, c’est que de la gueule.  
« Minute »

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