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Le Gard, étrange laboratoire de la lutte anti-FN

Laminé lors des élections régionales de décembre, le Parti socialiste a décidé de lutter, non pas contre le chômage et l’insécurité, mais contre le Front national. Il a ainsi confié à sa fédération départementale du Gard la mission d’expérimenter de nouvelles idées pour combattre le parti de Marine Le Pen. Amusant quand on sait que cette fédération gardoise est l’une des plus pourries de France…

L’info a été révélée le 23 décembre sur le site du journal numérique « Objectif Gard » : « Il y a un mois, la fédération PS du Gard a candidaté auprès de sa direction nationale afin de participer à l’expérimentation de nouvelles mesures pour lutter contre le Front National. » La candidature a été retenue : « Hier, en conseil fédéral, le patron des socialistes gardois, Jean Denat, a annoncé que la fédération gardoise avait finalement été choisie par Solferino. Début février, plusieurs chargés de missions descendront à Nîmes pour exposer les axes de travail et fixer le calendrier. »
On apprend ainsi qu’après la bérézina des élections régionales, le département du Gard sera le laboratoire de cette nouvelle guerre électorale. Ce choix est tout sauf un hasard. Jean Denat, le premier secrétaire de la fédération socialiste du Gard, a sans le moindre doute bénéficié de l’appui d’un ami inconditionnel, presque un frère, le premier ministre, Manuel Valls. Les deux hommes se sont connus au début des années 1990 quand ils gravitaient dans l’entourage du premier ministre Michel Rocard. Depuis, ils sont cul et chemise. C’est Manuel Valls en personne qui a décoré Jean Denat des insignes de chevalier de la Légion d’honneur lors d’une cérémonie à la préfecture du Gard où le futur premier ministre a rappelé que Denat lui avait été « un directeur de campagne précieux lors des primaires citoyennes de 2011 »…
Quand il est en tournée, Manuel Valls donne toujours une représentation à Vauvert, le fief de Jean Denat (ce dernier est maire de Vauvert depuis 2014 et il en a été le conseiller général de 1998 à mars 2015). La légende rapporte que c’est à Vauvert, le 13 juillet 2013, que Manuel Valls a prononcé le discours fondateur qui lui a ouvert les portes de Matignon le 31 mars 2014. La chronique locale en atteste : « Dans son discours, Valls, avant tout “pragmatique”, s’y réclamait à la fois de Ferry, Clemenceau et Rocard. […] Marquant lui-même au fer rouge un taureau en cette veille de 14 juillet, Valls a laissé ce jour-là une trace indélébile. »

À Vauvert, Valls porte poisse
En 2012, Manuel Valls avait déjà joué un one-man-show dans cette petite ville du Gard. Il était alors ministre de l’Intérieur et, en juillet, il avait annoncé, pour lutter contre la délinquance, la création de ZSP, les Zones de sécurité prioritaires. Mais c’est à Vauvert le 17 septembre suivant qu’il vint en exclusivité nationale présenter ce nouveau plan, avec son ami Jean Denat pour faire applaudir la claque. Gilbert Collard, député Bleu Marine de la circonscription, avait alors dénoncé un clientélisme nauséabond : « Il est clair qu’il s’agit là d’une opération politicienne dont le Parti socialiste, au mépris du consensus républicain, espère tirer un bénéfice électoral dans une circonscription qui m’a élu. C’est vraiment la Zone de Priorité Politique. »
Maître Collard s'inquiétait pour rien. Car avec Valls comme parrain, Jean Denat a connu le pire échec de sa carrière. Aux élections départementales des 22 et 29 mars 2015 (en duo avec Pascale Fortunat-Deschamps), il se présente sur le canton de Vauvert, en grand favori, d’autant plus qu’il est alors le président en titre du conseil général du Gard. Mais plus pour très longtemps : il sera battu par le tandem du FN, composé de Nicolas Meizonnet et Béatrice Pruvot, qui réalise 51,44 % ! Pour le maire de Vauvert, qui dit adieu au conseil général, le coup est dur ; il suffit de lire les commentaires de la presse : « Les yeux rouges, l’émotion à fleur de peau, Jean Denat a tout fait pour ne pas craquer. »
Pourtant, le vendredi précédant le second tour, un homme était venu spécialement de Paris à Vauvert pour le soutenir, le premier ministre en personne, Manuel Valls ! Et certaines mauvaises langues se demandent si ce n’est pas la visite de Valls qui a précipité la chute de son ami… Le 11 juin suivant, Jean Denat va cependant remporter une élection… nettement plus aisée : comme adversaires, il n’avait que des socialistes. Il sera ainsi élu premier secrétaire de la fédération socialiste du Gard.

Une fédération minée par les magouilles
La fédération PS du Gard, c’est tout un poème. Son histoire récente est truffée de scandales. En décembre 2012, un nouveau premier secrétaire est élu, Stéphane Tortajada. Dès le 9 janvier 2013, il adresse une lettre aux militants socialistes, pas pour leur présenter ses vœux, mais pour leur faire un drôle d’aveu : « Des soupçons importants pèsent sur une de nos militantes par ailleurs titulaire d’un contrat de travail avec la fédération et en charge de la comptabilité, d’autant plus que cette dernière a reconnu avoir détourné des fonds. »
Cette comptable indélicate, employée depuis 2006, s’appelle Nathalie Bouvet et elle est alors également la suppléante du député socialiste gardois Fabrice Verdier (qui fut lui-même premier secrétaire de la fédération de 2002 à 2010) ! Gros scandale, surtout que les soupçons de détournement se sont transformés en preuves accablantes. En avril 2014, Nathalie Bouvet a été condamnée à deux ans de prison dont un avec sursis. Elle a avoué avoir piqué 377 000 euros dans les caisses du parti entre 2006 er 2012 !
Se pose cependant la brûlante question : comment se fait-il qu’au sein de la fédération, personne n’ait rien vu ? La comptable aurait-elle bénéficié de complicités ? Entre les socialistes du Gard, l’heure est alors aux règlements de comptes. Tout le monde accuse tout le monde. Pour calmer le jeu, en juillet 2014, la direction nationale du PS place sa sulfureuse fédération gardoise sous tutelle. Parenthèse qui a donc pris fin le 11 juin 2015 avec l’élection d’un nouveau premier secrétaire, Jean Denat.
Mais les ennuis ne sont pas finis. Le 10 septembre, dans un entretien accordé à « Objectif Gard », le député Fabrice Verdier est revenu sur l’affaire Nathalie Bouvet : « C’est une tâche sur ma carrière. J’en veux à certaines personnes qui savaient et n’ont rien dit… » Il y avait donc des socialistes qui étaient au parfum des pratiques de la comptable condamnée ? Aussitôt un collectif baptisé « Les Rénovateurs du PS » a publié un communiqué pour réclamer que des têtes tombent. Mais on a découvert que ce communiqué était un faux et une usurpation réalisés par des socialistes « dissidents » pour mettre la pagaille au sein des « Rénovateurs » !
C’est pourtant cette fédération vérolée que la direction nationale du PS a mobilisée pour lutter contre le FN. Avec pour adversaire une telle armée de bras cassés, le FN peut dormir sur ses deux oreilles. Et en attendant, il continue à engranger. Aux élections régionales de décembre, le parti de Marine Le Pen, emmené par Louis Aliot, est arrivé en première position dans le Gard avec 42,62 % (contre 37,43 % à l’union de la gauche et 19,95 % à l’union de la droite). Le FN a même frôlé les 50 % (49,54 % précisément) à… Vauvert, la bonne ville de Jean Denat. Manuel Valls a dû apprécier.

Pierre Tanger

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