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Le droit de la presse pour la nulle

Le décret visant à exclure « Minute », « Rivarol » et « Valeurs actuelles » des aides directes à la presse a été publié. Mais être ministre, c’est un métier. Être censeur aussi. Il faut savoir s’entourer de juristes. Or Pellerin et ses services sont nuls en droit ! Explications… qui annoncent de jolies batailles.

Le secret du forfait – pour ne pas dire de la forfaiture – avait été bien gardé et il n’a été éventé que cinq jours avant la publication du décret au « Journal officiel », alors que celui-ci était déjà rédigé. Après quelle concertation ? Les syndicats des différents éditeurs de presse ont-ils donné leur accord ? Ont-ils même été consultés ? Quels juristes fous ont-ils assuré aux quatre ministres signataires du texte, dont le premier d’entre eux, qu’il est conforme à la loi ? Et même à la Constitution ? L’avis qui a été donné par les services de Christiane Taubira ne comportait-il aucune réserve ? Pour le moment, c’est le mystère à tous les étages, avec pour seule certitude que le gouvernement socialiste a décidé de priver d’aide de l’État la presse qui pense mal.

Censure sous l’égide de Lamartine !
L’affaire débute le lundi 2 novembre dans la salle Lamartine de l’Assemblée nationale. Fleur Pellerin, qui n’a pas dû lire Lamartine plus que Modiano, sinon elle saurait que la liberté ne se divise pas, est auditionnée par la commission des Affaires culturelles, réunie en formation élargie, devant laquelle elle est venue présenter ses orientations pour le projet de loi de finances 2016.
La séance va durer quatre heures et c’est à mi-terme qu’elle lâche sa réforme, qui sera révélée par « La Correspondance de la presse » : les aides à la presse à faibles ressources publicitaires vont être étendues mais certains journaux en seront exclus. Notons au passage que l’annonce ne suscite aucune critique chez les parlementaires qui l’écoutent, en tête desquels Gilles Carrez (Les Républicains), le président de la commission des Finances – il dirige la séance –, et Patrick Bloche (PS), le président de la commission des Affaires culturelles.
Il ne se passe que quelques jours avant que le décret soit signé (le 6 novembre) puis publié au « Journal officiel » du 7 novembre. Sa date d’entrée en vigueur : le lendemain ! Il est signé de Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, de Michel Sapin, ministre des Finances, de Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget, et, comme c’est la règle, du premier ministre Manuel Valls.

Un confrère pas très confraternel
Ce décret vient modifier celui du 12 mars 1986 « instituant une aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires ». À première vue, c’est une bonne nouvelle pour la presse. Les aides vont être étendues « aux publications nationales dont la périodicité est au minimum hebdomadaire et au maximum trimestrielle ».
On lit même, dans la « notice » précédant le texte et publiée elle aussi au « Journal officiel », que « les publications éligibles sont celles qui sont reconnues par la commission paritaire des publications et agences de presse comme ayant un contenu d’information politique et générale et dont la publicité représente moins de 25 % des recettes totales du titre ». « Minute », qui n’a aucune ressource publicitaire, rentre tout à fait dans ce cadre.
Oui mais voilà… À l’article 9 figure cette mention : « Aucune aide ne peut être versée aux publications : a) Dont le contenu a donné lieu à une condamnation du directeur de la publication devenue définitive au cours des cinq années précédant la demande d’aide, en application des articles 24 ou 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».
Nos confrères, qui ont encore en tête « l’affaire Taubira », embrayent donc sur l’exclusion de « Minute » de son champ d’application, certains osant même faire « une différence très nette » entre « Valeurs actuelles » d’un côté, « Minute » et « Rivarol » de l’autre, car ces dernières seraient « des publications très discutables » ! Dixit Bruno Jeudy, le chef du service politique… de « Paris Match » ! Vendre les histoires de cul de la famille monégasque, c’est sans doute plus honorable que de parler politique…

Les boulettes qui mettent tout par terre
Oui mais voilà… (bis). Le droit est complexe et la loi sur la presse l’est plus encore. Si le directeur de publication de « Minute » a bien été condamné pour la couverture sur Christiane Taubira, il l’a été sur la base de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 et non sur celle des articles 24 ou 24 bis ! Or l’article 33 n’est pas cité dans le décret… Oups la boulette ! On voudrait être une petite souris pour assister à la panique qui va s’emparer du cabinet de dame Pellerin et de celui de Manuel Valls à la lecture de notre article… Dis, Fleur, l’aide à « Minute », elle a été budgétée dans le projet de loi de finances pour 2016 ? (1)
De même, les juristes qui se sont contentés de survoler le décret ne savaient pas que, en matière de droit de la presse, la plus grande précision est requise. Lorsque des poursuites sont engagées sur la base de « l’article 24 », sans plus de précisions, c’est la relaxe assurée en appel si cela n’a pas été le cas en première instance. Il faut citer l’alinéa concerné de cet article qui couvre un nombre considérable de délits. En droit public, on serait tout d’un coup plus laxiste ?
Ces deux points sont quelques-uns des vices de forme qu’a relevés dans le décret du 6 novembre 2015 l’avocat que nous avons consulté. Car il y en a d’autres que nous laissons au gouvernement le soin de découvrir… Ou pas… Le feuilleton de l’aide publique à « Minute » (et à nos confrères) ne fait que commencer… 

« Minute »


(1) C’est là qu’on regrette que le point d’ironie ait disparu des signes de ponctuation…

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